A l’occasion de la célébration 75e anniversaire de la Fédération Syndicale Mondiale le 3 octobre 1945 au Palais de Chaillot à Paris, nous avons réalisé un entretien exclusif avec le secrétaire général de la FSM, George Mavrikos.
Que représente aujourd’hui la FSM dans le monde, à l’occasion du 75e anniversaire de sa fondation ? Après la destruction de l’URSS et du camp socialiste, quelle est pour toi la signification du développement continu de la FSM de ces dernières années ?
Afin de répondre à votre question, nous devons consulter les principes et les valeurs qui ont conduit à la naissance de la FSM. La Fédération Syndicale Mondiale a été fondée il y a 75 ans, jour pour jour, à Paris en 1945, immédiatement après la victoire des peuples contre le fascisme. Sa déclaration fondatrice a établi, entre autres, les objectifs de la fonction démocratique de tous les syndicats, la solidarité internationaliste et le soutien fraternel à l’activité syndicale, l’échange d’informations et d’expériences pour le renforcement de cette solidarité, la coordination de l’action des travailleurs pour la réalisation de ses objectifs, la défense des travailleurs migrants, l’utilisation de tous les moyens nécessaires pour expliquer ses buts et son programme à la classe ouvrière du monde.
Demandons-nous donc à quel point ces lignes d’action sont encore d’actualité aujourd’hui. Au regard de la pandémie et de l’aggravation des contradictions du capitalisme, et dans une période où les travailleurs et les peuples souffrent de plus en plus, n’est-il pas vrai que ce que la FSM a représenté et représente semble plus actuel et vivant que jamais ?
Se pourrait-il qu’au cours des 30 dernières années, le monde soit devenu meilleur ou pire pour les travailleurs du monde entier ? Si, dans les années 1989-1991, un retour en arrière historique a eu lieu, – une victoire temporaire de l’impérialisme -, cela implique que la présence de la FSM est devenue plus nécessaire que jamais. C’est précisément la dimension des 75 ans de la FSM : la lutte continue pour l’amélioration des conditions de vie des travailleurs du monde entier, dans une orientation anticapitaliste et anti-monopoles.
Depuis les années 90 l’Europe était devenue le « point faible » de la FSM, avec le départ de plusieurs grosses confédérations. Or, depuis une dizaine d’années, on assiste à un mouvement de reaffiliations à la FSM en Europe. Comment l’analyses-tu ?
La défaite qu’a subie le mouvement syndical de classe à la fin du siècle dernier a été l’une des plus grandes de son histoire. Malheureusement, les travailleurs en subissent les conséquences à ce jour. Regardez, par exemple, les mesures anti-ouvrières qui continuent d’être décidées dans les pays capitalistes, par tous les gouvernements, que ces derniers soient qualifiés de libéraux et sociaux-démocrates, ou qu’ils se disent «de gauche». Le dénominateur commun est la diminution du prix de la force de travail. Et cela est une conséquence de long terme suite aux changements survenus à la fin des années 80.
Ces événements ont eu des conséquences négatives pour le mouvement organisé de la classe ouvrière. Des confédérations ouvrières se transformaient, se dissolvaient, changeaient leur ligne et symboles de lutte. En outre, elles ont souvent trouvé du réconfort dans les bras de la CSI et de la CES, affirmant que la lutte des classes était terminée. D’autres fois, elles prétendaient qu’elles allaient changer «de l’intérieur» les syndicats jaunes, ces instruments des capitalistes, et qu’elles allaient en faire des instruments de lutte. Alors, aujourd’hui, 30 ans plus tard, qui a été confirmé? Qui est-ce qui a changé? Comment ces dirigeants-là ont-ils amélioré la vie des travailleurs?
C’est précisément pour cette raison que les travailleurs européens ont commencé à tourner le dos à ces dirigeants syndicaux de collaboration ; des luttes se développent et les bases syndicales continuent d’accumuler leur colère et leur indignation, s’adressant à la famille de classe de la FSM. Cette réalité, vous vous pouvez aussi la constater dans votre pays, au moment où des fédérations de classe et de masse rejoignent la FSM.
Comment, concrètement, se manifeste l’utilité de la FSM lors des actions et journées de mobilisation et de grève ? Que dirais-tu aux syndicalistes qui hésitent encore à rejoindre les rangs de la FSM ?
La FSM représente la solidarité internationaliste et l’organisation de la lutte des classes dans le monde. Cela a toujours été exprimé et continue d’être exprimé par le potentiel de la FSM. Le rôle principal de la FSM est avant tout de créer des centres de résistance et de lutte dans tous les coins de la carte; c’est-à-dire de créer toujours et partout des obstacles, même minimes, contre les capitalistes; de transformer la force de chaque travailleur en la multipliant en des millions de voix de résistance.
Regardez quelles ont été historiquement les réalisations accomplies par la FSM avec le mouvement syndical international de classe. La FSM, aux côtés de ses sœurs et frères en lutte à travers la planète, a obtenu la libération des cinq héros cubains. La FSM, aux côtés de ses militants en Afrique du Sud, a remporté la grande bataille contre l’apartheid. La FSM a réussi à bloquer les ports du monde entier en 2010, en solidarité avec le peuple héroïque de Palestine et en dénonçant la politique génocidaire de l’État terroriste d’Israël. La FSM, avec la lutte collective des travailleurs du monde, a réussi à intensifier la solidarité avec le peuple du Venezuela, à un moment où les impérialistes, avec l’aide des syndicats jaunes dans le monde, soutenaient le président-marionnette imposé par le Département d’Etat américain.
La FSM ne s’est épargné aucun effort pour propager la solidarité avec les grandes grèves [de décembre 2019], afin que personne ne se sente seul ; la FSM a coordonné les revendications chez Carrefour et le secteur de la logistique, a mis en évidence la lutte des travailleurs de la Centrale de Gardanne, etc.
Par conséquent, nous nous tournons vers chaque travailleur honnête et syndicaliste soucieux de l’avenir pour qu’il ajoute sa voix à celle de la FSM, car c’est exactement la ligne de la FSM, la ligne de lutte et de conflit qui a donné des résultats pour la classe ouvrière. L’autre ligne, la voie “louée” par chaque type de syndicaliste bureaucrate n’a apporté que des défaites, des échecs et du “marchandage » sur le nombre de miettes que notre classe va perdre aux tables du dialogue social, sur le nombre de fois où nous allons supplier les transnationales pour qu’elles fassent preuve de miséricorde. Nous, nous marchons dans les pas du colosse de la classe ouvrière, Karl Marx, qui a expliqué que les sociétés ne pouvaient progresser dans l’Histoire qu’au travers des conflits de classe.
Après 75 ans d’existence, quelles sont pour toi les perspectives de développement de la FSM dans le monde ? Quel est le sens et le fond politique de l’unité des travailleurs promu par la FSM ?
Nous estimons qu’en ce moment, partout et sous des formes diverses, des luttes – petites comme grandes – se développent tandis que des centres de résistance revitalisent la perspective de la contre-attaque de la classe ouvrière. Des syndicats, petits et grands, cherchent à trouver une expression et une coordination internationales de leurs luttes. Et c’est ce que défend la FSM.
Au cours des 15 dernières années, la FSM a augmenté son affiliation de base de 118,75%, en passant d’environ 48 millions de membres aux 105 millions qu’elle compte aujourd’hui. C’est une croissance qui, alors même qu’elle survient dans des conditions de forces négatives jamais vue auparavant, ne peut être comparé qu’à celle qu’a connu la FSM dans les années 1940 et 1950. Par conséquent, les affiliés et amis de la FSM ne peuvent regarder l’avenir qu’avec un plus grand optimisme ; une FSM forte signifie des luttes plus déterminées et dures des travailleurs partout dans le monde.
Sans doute la force de la FSM ne serait pas aussi efficace sans une donnée essentielle : la base politique de l’unité des travailleurs que la FSM favorise. Et cela concerne le principe de l’unité de classe, l’unité basée sur les valeurs de notre classe. Ce n’est pas une unité “fourre-tout” comme celle défendue par ceux qui veulent l’édulcorer, mais bien une unité de classe qui mettra les capitalistes et leurs laquais dans la ligne de mire, et permettra l’avènement d’une société plus juste, sans exploitation de l’homme par l’homme.
En ce sens, l’unité défendue par la FSM est l’unité pour remplacer le capitalisme par un système social plus juste. Les réformistes et les bureaucrates de la CSI et de la CES se battent pour « maquiller » le capitalisme. Nous pensons que ce système ne peut pas être humanisé. Donc, nous devons le renverser.