« RéArmer l’Europe » – Un outil de guerre multiple contre les peuples

Guerre à la guerre. Nous vous proposons la traduction d’une analyse sur le réarmement en Europe publié par le PAME, puissant syndicat de classe grec et qui s’oppose frontalement à la participation de la Grèce aux guerres impérialistes.

« RéArmer l’Europe » – Un outil de guerre multiple contre les peuples

L’UE a annoncé le programme « ReArm Europe » d’une valeur de 800 milliards d’euros, signalant une augmentation rapide de ses dépenses de guerre.

Elle renforce ainsi sa stratégie d’économie de guerre et d’armement de la période précédente, intensifiant son implication dans la guerre impérialiste en Ukraine. Son objectif est de jouer un rôle de premier plan sur le front ukrainien dans un contexte d’antagonismes euro-atlantiques exacerbés et de marchandages américano-russes.

Les annonces de la Commission concernant les 800 milliards comprennent les orientations suivantes :

– 650 milliards provenant de l’augmentation pour les prochaines années des dépenses de guerre de chaque État membre à au moins 3,5 % de leur PIB, ce que les peuples paieront cher par le biais des impôts, de coupes drastiques dans les salaires, les retraites et les droits sociaux.

– 150 milliards de prêts qui vont doper les groupes d’entreprises, dont le peuple paiera encore la facture, en plus du remboursement des 750 milliards du Fonds de relance.

– Subventions, facilités et financement des industries de guerre par l’intermédiaire de la Banque européenne d’investissement, que les peuples rembourseront également de diverses manières. Par ailleurs, les 100 premiers jours de la nouvelle Commission européenne prévoient l’activation de l’Union européenne de l’épargne et de l’investissement. Il s’agit notamment de réserves de fonds d’assurance qui « deviendront des investissements », notamment dans le secteur lucratif de… la guerre.

– Achats et production d’armes communs au niveau de l’UE, avec des subventions « dorées » provenant du sang des citoyens pour atténuer les commandes d’armes de guerre des États-Unis et d’autres concurrents. Tout cela dans le but de renforcer les groupes européens.

« Livre blanc » de la guerre

Parallèlement à « Réarmer l’Europe », la stratégie de l’UE, contenue dans le Livre blanc « Défense européenne », [a été publié]. Ce document met l’accent sur les conditions préjudiciables aux peuples, afin que l’UE soit prête à affronter directement la Russie d’ici cinq ans, comme l’affirment les services de l’UE.

Une résolution méprisable du Parlement européen a été proposée conjointement par le Parti populaire européen, les sociaux-démocrates, les libéraux, l’extrême droite et les Verts.

Cette résolution fait référence à la « préparation aux situations d’urgence militaires les plus extrêmes » et demande, entre autres, que les dépenses militaires puissent atteindre jusqu’à 5 % du PIB, une « taxe d’entrée » sur la population de 0,25 % du PIB de chaque État membre pour l’aide militaire à l’Ukraine, la création d’une « Banque de défense » et l’émission d’euro-obligations militaires…

Un élément clé de cette stratégie est également la « mobilité militaire », annoncée récemment par le commissaire grec aux Transports. Ce dispositif sera doté de 70 milliards d’euros afin que les troupes euro-OTAN, les chargements dangereux d’armements et de matériel de guerre puissent circuler librement dans l’UE.

L’objectif de tout ce qui précède est de respecter les normes de l’OTAN qui prévoient « bien plus de 2 % de dépenses de guerre du PIB pour chaque pays » et de « libéraliser l’utilisation des fonds publics au niveau national ».

Bien sûr, il n’y a pas d’aveu plus cynique de qui paiera finalement la facture que les déclarations du secrétaire général de l’OTAN, Rutte, qui a été prompt à faire comprendre que pour augmenter les dépenses de guerre, il faudrait réduire les retraites, les salaires, les soins de santé, etc.

Il est également révélateur que l’UE ait annoncé que les fonds du « Fonds de cohésion » seraient réaffectés aux dépenses de guerre. Autrement dit, même les maigres fonds destinés à la prévention des incendies, aux inondations, au « soutien aux personnes vulnérables », etc., sont inutiles pour le capital et doivent donc… financer les conglomérats de l’industrie de guerre.

« Clauses » de complaisance

[…] L’UE affirme qu’il n’y aura pas d’impôts ni d’autres charges pour les citoyens en raison de la soi-disant « clause échappatoire » aux règles du Pacte de stabilité de l’UE sur la dette publique et les déficits des économies des États membres.

Il s’agit assurément d’une tentative de tromperie. Car, qu’elles soient comptabilisées en déficit ou en dette, avec ou sans les règles du Pacte de stabilité, les dépenses de guerre seront financées par les citoyens de multiples façons : par une fiscalité draconienne, des droits de douane et les soi-disant « ressources propres » (voir impôts de l’UE). Sans oublier les euro-obligations et divers fonds et prêts spéciaux de l’UE.

On parle déjà d’imposer une nouvelle taxe numérique qui, grâce à la concurrence entre les monopoles numériques, sera également répercutée sur les utilisateurs, c’est-à-dire sur la population.

Il est intéressant de constater que pour adopter ce plan colossal que les citoyens devront payer pendant des décennies, l’UE n’a même pas pris la peine de l’approuver par « son » Parlement européen. Elle a préféré activer l’article 122 du traité de Lisbonne, qui prévoit des décisions directes dans des circonstances « exceptionnelles » et « difficiles ».

Ainsi, une fois de plus… les hypocrisies de tous les apologistes de l’UE sur les procédures démocratiques, « l’État de droit », la responsabilité et autres contes de fées s’envolent.

Tout ce qui précède, qui a été décidé aux dépens du peuple […] montre le « fatalisme » de tous les pouvoirs bourgeois et en particulier de la social-démocratie, à l’égard de l’UE […].

Calculs des intérêts bourgeois

Bien entendu, le critère d’action de l’UE n’a jamais été, n’est pas et ne sera jamais l’intérêt des peuples. Son objectif est de renforcer la position de l’Union impérialiste elle-même et des groupes européens, de la bourgeoisie sur le Vieux Continent, aux dépens de ses concurrents, la Russie, les États-Unis et la Chine.

L’UE et les bourgeoisies, chacune pour leur part, constatent que, malgré leurs investissements politiques, économiques et militaires dans la guerre impérialiste en Ukraine, les États-Unis négocient sa fin avec la forte probabilité de pertes territoriales de l’Ukraine sur le champ de bataille. Et pendant ce temps, semble-t-il, la bourgeoisie européenne perdra les rares territoires dont elle avait nourri l’espoir au début de la guerre.

Le premier est la Grande-Bretagne, qui, après avoir conclu en janvier un accord avec l’Ukraine pour l’exploitation de ses terres rares pendant 100 ans, se voit enfin arriver en deuxième position… derrière les États-Unis. C’est l’une des principales raisons pour lesquelles, pour la première fois depuis des décennies, elle entre en confrontation directe avec les États-Unis.

Face à cette situation, la solution pour les monopoles européens réside dans la prime de leur « économie de guerre » à deux volets. Le premier consiste à renforcer le soutien militaire à l’Ukraine tant que durera la guerre, et le second consiste à offrir de prétendues « garanties de sécurité » pour le lendemain. Ils envisagent même l’envoi de forces militaires en Ukraine, voire la création d’une présence militaire dans le pays, voire la création d’un « parapluie aérien » ou nucléaire, en utilisant les arsenaux nucléaires français et britannique.

Dans ce contexte, le gouvernement ND de la Grèce, qui dépense déjà plus de 3 % du PIB du pays en armements militaires (presque le double de la moyenne de l’UE), se plaint que le paquet « ReArm Europe » récompensera principalement les gouvernements bourgeois qui ont jusqu’à présent – ​​par rapport au gouvernement grec – pris du retard en matière d’armement, tandis que ceux qui ont été en avance jusqu’à présent, comme le gouvernement grec, n’ont pas reçu grand-chose…

D’ores et déjà, la Russie place la barre encore plus haut avec un nouveau programme d’armement d’ici 2036, doté de 25 milliards de dollars de nouvelles fournitures d’armes, dont de nouveaux sous-marins, drones, satellites et avions de combat, selon un plan qui sera présenté au Parlement. Parallèlement, elle a déjà annoncé son engagement à renforcer encore davantage le soutien militaire à l’Ukraine.

Par ces manœuvres, la bourgeoisie grecque poursuit un objectif multiple et complexe. D’une part, elle souhaite conserver une position de « réserve » pour les entreprises grecques dans le cadre de la grande fête de la reconstruction imminente de l’Ukraine. Lors du prochain sommet de Rome en juillet, elle revendique une part significative de la reconstruction d’Odessa, s’appuyant sur les racines historiques de la présence de populations d’origine grecque dans cette région et dans d’autres régions d’Ukraine.

En d’autres termes, tout comme Trump l’a demandé… pour financer les 350 milliards d’aide militaire américaine via des contrats pour des terres rares et d’autres matières premières précieuses, la bourgeoisie grecque affûte ses couteaux pour profiter de l’énorme gâteau de la reconstruction en Ukraine. […]

C’est l’une des principales raisons pour lesquelles, malgré les actions des États-Unis et de l’administration Trump en Ukraine, qui tendent la main à la Russie et négocient un accord impérialiste fragile et un cessez-le-feu, le gouvernement grec ne s’est pas différencié de la ligne générale de l’UE consistant à soutenir et à armer l’Ukraine.

L’appétit des groupes d’affaires grandit

Par ailleurs, le lucratif programme « ReArm Europe » a également accru l’appétit des entreprises grecques pour le renforcement de leur activité militaire. Parmi elles, certaines ne sont pas nécessairement spécialisées dans la fabrication d’armes, mais envisagent de développer cette activité avec le soutien garanti de l’État et de l’UE.

Et ce que certains prétendent à propos de la revitalisation de l’industrie grecque de défense masque ses problèmes chroniques et son orientation vers l’OTAN. Il convient également de noter que les contrats des groupes d’affaires dans le cadre de « ReArm Europe » sont prévus pour plusieurs années, précisément pour que les monopoles puissent opérer en toute « prévisibilité et sécurité », tandis que la population devra les rembourser dans un contexte d’incertitude générale et d’engagement militaire.

C’est précisément cette demande d’armement de l’OTAN, avec des performances record, que le gouvernement grec cherche à présenter comme une « conformité aux exigences de l’OTAN » et un « contrepoids » aux négociations avec l’administration Trump.

En d’autres termes, il s’agit de faire passer le corridor commercial et énergétique indo-européen IMEC par Chypre et le Pirée et d’exclure la route alternative, qui a vu le jour il y a quelques jours et qui contourne Chypre et la Grèce pour aboutir en Italie et en France.

En effet, la visite de Meloni aux États-Unis a coïncidé avec la publication de tels scénarios alternatifs. Le récent message de Trump, qui rétablit le corridor aboutissant au Pirée, confirme l’antagonisme croissant quant à l’issue de cette affaire.

La question de la destination finale de la route est liée au renforcement ultérieur des plans énergétiques et commerciaux des groupes d’affaires grecs, dont les citoyens ont jusqu’à présent beaucoup perdu et perdront encore, car ce sont eux qui rembourseront les bénéfices des entreprises.

Le rôle accru de la Turquie

De son côté, la bourgeoisie turque use autant qu’elle le peut de son rôle de médiatrice dans les négociations américano-russes. Depuis son intervention en Syrie, elle a renforcé sa position de négociation en soutenant le régime djihadiste. C’est pourquoi elle s’implique davantage dans les négociations Euro-OTAN (elle est un pays de l’OTAN doté de la deuxième plus grande armée), comme lors de la récente conférence de Londres et de la réunion des chefs d’état-major à Paris, aux côtés de puissantes bourgeoisies de pays européens.

Les conclusions du Conseil de l’UE stipulent explicitement que l’Union coopérera avec les pays tiers partageant les mêmes valeurs, « au sein d’une coalition de pays volontaires ». Il s’agit de la Turquie, du Royaume-Uni, de la Norvège, de l’Islande et du Canada. Parallèlement, selon le Financial Times, le secrétaire général de l’OTAN, Rutte, exerce une forte pression pour que la Turquie soit incluse dans la « défense européenne commune ».

Bien sûr, ces invitations à la Turquie ne sont pas faites en vase clos, car sa bourgeoisie semble avoir renforcé son industrie de guerre ces dernières années, notamment dans la nouvelle génération d’armes sans pilote, où elle détient une part importante. Par ailleurs, l’industriel turc « Baykar » a procédé à l’acquisition stratégique de l’industriel italien « Piaggio Aerospace » à la fin de l’année. Ce faisant, il a désormais établi un lien direct avec l’une des trois plus grandes industries de guerre d’Europe, l’italien « Leonardo ».

Parallèlement, la Turquie, de par son rôle renforcé en Syrie et son soutien aux djihadistes, s’est rapprochée de la France afin qu’un groupe français conserve l’exploitation du port stratégique syrien de Lattaquié à de nouvelles conditions avantageuses.

Ces développements expliquent pourquoi la Turquie a obtenu une commande de systèmes de missiles Meteor et d’Eurofighter, avec la bénédiction de la France, très vantée dans notre pays comme un allié supposé « proche » de la Grèce.

Sables mouvants impérialistes

La conclusion est que le peuple ne doit pas se faire d’illusions : à travers des intérêts aussi complexes, à travers des relations aussi infinies entre les unions et les alliances impérialistes, à travers des accords entre les classes bourgeoises, il existera un moyen sûr et sécurisé de sauvegarder les frontières et les droits souverains du pays.

L’agressivité, le cynisme, les accords signés sur les sables mouvants de l’impérialisme, l’attitude changeante de la bourgeoisie selon les priorités de chacun ne peuvent donc pas être attribués – comme le prétendent les apologistes de ce système – à une quelconque « bizarrerie » de Trump ou à une « bizarrerie » d’Erdogan. Au contraire, ils constituent un trait caractéristique du capitalisme dans sa phase impérialiste.

Ce que nous avons décrit, les guerres, l’intensification féroce des antagonismes impérialistes même au sein du camp euro-atlantique, les marchandages impitoyables actuels pour les terres rares en Ukraine, au Groenland, au Congo, à Taïwan, etc., la nouvelle vague de droits de douane sur des marchés stratégiques comme le cuivre, l’alumine, l’acier, etc., les évolutions dangereuses sur la scène internationale, tout cela exacerbe l’inquiétude populaire. Ils rapprochent la crise capitaliste imminente, que les capitalistes tentent d’endiguer en renforçant l’économie de guerre.

Chemin en faillite et dangereux

Cette voie en faillite et dangereuse est défendue par le gouvernement et tous les partis bourgeois, et c’est pourquoi ils ont de plus en plus de mal à tracer des « lignes de démarcation ».

Avec l’euphémisme constant selon lequel avec un changement de gouvernement la bourgeoisie du pays aurait un rôle encore plus élevé, davantage d’invitations aux forums Euro-OTAN et de gros gains dans les alliances impérialistes, les forces sociales-démocrates en particulier font taire le fait que le peuple sortira de tout cela avec de multiples pertes.

Ils cachent les véritables causes de la guerre impérialiste, les grands dangers de la « mobilité militaire » – y compris par chemin de fer – que le mouvement ouvrier a révélés et avec une riche activité, les blocages de l’opposition et les révélations qui ont exposé le rôle de cette stratégie sont un héritage précieux.

L’UE n’est ni faible ni veule. C’est une union transnationale européenne du capital, et elle et le système capitaliste qu’elle sert ne peuvent qu’être renversés. L’indépendance des peuples ne signifie pas que l’UE doit faire face à ses concurrents, ni que l’UE doit prendre parti.

Il s’agit plutôt d’une lutte indépendante pour ses propres intérêts et besoins contre l’UE, les gouvernements et la bourgeoisie. Et la « clause dérogatoire » du Pacte de stabilité ne nie pas le fait que les peuples de l’UE sont appelés à payer le lourd tribut en sang, en budgets de guerre, en réfugiés et en engagements militaires.

La véritable lutte de classe dans la « nouvelle ère » de l’escalade dangereuse des compétitions intra-impérialistes et des conflits de guerre, dans laquelle l’UE est en première ligne, est la lutte pour que les peuples ne deviennent pas de la chair à canon, pour qu’ils ne se retrouvent pas pris entre la guerre impérialiste et la paix « avec un pistolet sur la tempe ».

Grâce à leur lutte, ils peuvent renverser les plans bellicistes des impérialistes et se libérer des chaînes de l’UE et du pouvoir capitaliste qu’ils défendent.

Pour ouvrir la voie à leur propre « nouvelle ère » de solidarité, de paix, d’amitié et de coopération égale entre les peuples.