Quelles perspectives syndicales après l’échec de la journée de mobilisation du 5 juin 2025 ?
Une journée nationale de mobilisation syndicale est toujours l’occasion de « faire feu de tout bois », d’ancrer si possible une lutte dans telle ou telle entreprise, dans tel ou tel service ou atelier. Gageons que dans certains secteurs ou territoires, la date du 5 juin 2025 aura permis de faire progresser la combativité, notamment sur les salaires ou les conditions de travail.
Cette journée du 5 juin est la première journée de grève et de manifestation à l’initiative de la Confédération CGT depuis le 1er octobre 2024 – mis à part des appels à soutenir des mobilisations contre les licenciements avec certaines fédérations CGT industrielles et du service public ou encore à se joindre aux mobilisations des retraités.
C’est pourquoi la déconvenue de la dernière journée de grève nationale interprofessionnelle doit nous interroger tant elle révèle en creux l’échec d’une stratégie syndicale dominée par une vision lobbyiste du rapport de force, qui agit « nationalement », symboliquement et même rituellement trois fois par an, et qui ne part pas (et ne cherche pas à développer ou articuler) des cahiers revendicatifs des syndicats et des organisations de la CGT.
Cette date du 5 juin illustre en réalité assez correctement cette situation : une date sans queue ni tête et sans perspectives, posée pour coïncider avec le vote à l’Assemblée Nationale, lors de la niche parlementaire du PCF, d’une résolution non contraignante dite d’abrogation de la réforme des retraites.
Le résultat : peu de grévistes, peu de manifestants. Et une communication confédérale victorieuse, en décalage total avec la réalité. Non seulement, prétendre avoir remporté quoique soit d’un vote d’une Assemblée nationale dominée par la droite et l’extrême droite participe à ancrer dans les esprits l’idée que le principal lieu de lutte politique ne se trouverait, ni dans les entreprises ou les services ni dans la rue, mais dans l’arène parlementaire. Mais plus profondément, l’échec de cette mobilisation, qui fait écho, deux ans après avec la dernière journée de grève nationale du 6 juin 2024 contre la réforme des retraites arrimée elle aussi à un vote au Parlement, démontre plusieurs choses :
- Qu’une date (particulièrement) esseulée et incomprise parce que peu évidente est de nature à provoquer un puissant sentiment de résignation. L’absence de dynamique de construction des luttes se ressent pleinement. Les sujets et les perspectives ne manquent pourtant pas, et ce depuis longtemps. Trois exemples : l’urgence des augmentations des salaires, la réponse aux besoins sociaux, la bataille pour l’emploi, l’industrie et les services publics et contre les licenciements, notamment dans les industries chimiques, métallurgiques, le secteur de la grande distribution. Sans oublier bien entendu la bataille des retraites et le combat pour la Paix.
- Sur la question précise des retraites comme sur les autres sujets sociaux mais aussi économiques et bien entendu politiques, l’indépendance d’action et d’organisation de notre CGT, son indépendance donc et partant, celle de l’ensemble des travailleurs et travailleuses, est mise à mal par une mauvaise articulation « partis politiques » – syndicats qui tend de plus en plus à une délégation de pouvoir. Aux salariés « la rue », aux politiques « la politique ». Rien ne saurait n’être plus faux, erroné et mensonger.
- Cette mauvaise articulation prend ici un sens particulier avec la promotion, par la Confédération CGT, en interne et dans tous les matériels de communication confédéraux, du vote au Parlement, sans précision aucune sur le caractère non contraignant du vote. Nous ne pouvons pas pourtant nous permettre, comme le fait le communiqué confédéral de « victoire », de jouer la confusion sur cette question aussi sensible. Nous n’avons rien gagné. Les travailleurs n’ont rien gagné, mis à part une nouvelle délégation de pouvoirs qui ne fait que renforcer l’isolement, la colère et le ressentiment. Ajoutons au passage que la participation – incomprise et incompréhensible – à la farce du Conclave, n’aide en rien à la clarté.
- C’est donc d’une dynamique de construction des luttes et des rapports de force dont nous avons besoin. Si les sujets ne manquent pas, la morosité a gagné du terrain, sans pour autant induire une résignation de la combativité ouvrière. Alors, il nous faut construire. Et réfléchir notamment à l’utilité et l’efficacité des dates nationales et interprofessionnelles de mobilisations. Ces dernières – du moins c’est l’expérience et de l’échec du mouvement des retraites et des deux années écoulées, ne peuvent pas être réfléchi comme désarticulées de la réalité des syndicats et surtout des travailleurs et des travailleuses.
Un an après les élections législatives anticipées de 2023 et la (temporaire) union de la gauche au nom de « l’urgence électorale » avec le soutien et appel au vote de la Confédération, et alors que le patronat vandalise l’industrie et liquide plus de 300 000 emplois, il est temps d’enrayer la machine à gagner de l’extrême droite en partant « du concret » : la lutte des classes et l’union dans l’action et avec des objectifs de progrès social des travailleurs d’un même site, d’un même groupe, d’un même secteur et professions, de l’ensemble du pays.
Ne nous y trompons pas, le syndicalisme français est malade, de bas en haut, en large et en travers, du poison du lobbysme syndical et d »une institutionnalisation-intégration, par le fameux « dialogue social », dans les rouages de la collaboration de classe.
Il ne tient qu’à nous, comme cela est déjà arrivé dans la riche et longue histoire de notre CGT, de remettre la lutte des classes au cœur de nos préoccupations et remettre nos organisations sur leurs pieds, par un effort constant, intérieur et en direction du monde du travail.
Nous avons plus que jamais besoin d’une CGT qui s’appuie sur la propre force des travailleurs et sur ses valeurs fondamentales parmi lesquelles on trouve l’indépendance des partis politiques, la lutte des classes, la lutte « du quotidien » articulée avec le combat pour une transformation radicale de la société.
Pour transcrire dans le réel cette orientation globale et historique (qui a fait et fait encore ses preuves), nous avons tous les outils en main, nos syndicats CGT, nos UL et nos UD, nos fédérations CGT et bien entendu notre Confédération CGT.
Nous ne pouvons pas nous payer le luxe de nous-mentir à nous-mêmes, ni aux travailleurs, syndiqués comme non syndiqués, et certainement pas aux militants et militantes de la CGT. Alors, arrêtons les promesses d’un changement magique par le vote (et dont on omet – volontairement ? – de préciser qu’il est non contraignant.
Afin de verser aux débats quelques idées constructives. Nous suggérons que la Confédération appelle clairement, sans détours ni ambiguïtés, à la grève et à la mobilisation face au démantèlement des industries stratégiques du pays. Notamment contre les plans de licenciement qui frappent les sites des industries sidérurgiques (ArcelorMittal à Dunkerque) ou encore ceux dans les industries chimiques. C’est en s’appuyant sur une dynamique de lutte que les syndicats CGT pourront construire, dès maintenant pour la rentrée 2025, à partir des Unions locales et départementales et des fédérations, et avec l’impulsion confédérale CGT, un grand mouvement social par le bas, avec des cahiers revendicatif et la préparation d’une mobilisation de grande ampleur dès septembre 2025.
L’actualité induit également, avec les mobilisations des dockers du golfe de Fos contre les livraisons d’armes à destination d’Israël, la nécessité d’amplifier nos actions contre le Génocide en Palestine et contre la marche générale à la guerre impérialiste généralisée, en parallèle d’une mobilisation nationale de soutien aux dockers, portuaires et à tous les travailleurs mobilisés pour la Paix et la Justice.
Nous ne le dirons jamais assez, ce qui manque c’est la volonté de faire confédération. Que les syndicats prennent leur place dans leur Union Locale, que les Unions départementales et les Fédérations œuvrent, dans un Comité Confédéral National assumant pleinement ses responsabilités, à la construction de la convergence. Que la Confédération propose un plan de lutte cohérent en réponse aux aspirations des travailleuses et des travailleurs du pays. Cela ne peut se faire, se construire, en visioconférence. Il nous faut revitaliser, du CCN aux UL, nos outils avant que ceux-ci s’émoussent définitivement à force de n’être pas utilisés !
Cessons de nous considérer comme des commentateurs/spectateurs du désastre actuel. NOUS SOMMES LA CGT, nous sommes l’instrument de l’émancipation de la classe ouvrière.