Blouses blanches, colère noire : les soignants ont ouvert le bal de la mobilisation sociale

« La colère des hospitalières ne restera pas confinée », « Tous unis pour notre santé », « Hausse des embauches, hausse des salaires, hausse des lits » peut-on lire sur les banderoles et pancartes qui fleurissent depuis quelques semaines devant les hôpitaux.

Loin d’être un phénomène franco-français, la parole et la colère des personnels soignants se font en réalité entendre partout en Europe, de la Grèce à l’Espagne en passant par l’Italie et la Belgique.

Dans un contexte où le personnel de la santé a été en première ligne face à la pandémie et a tenu bon malgré l’état déplorable des infrastructures hospitalières françaises, les annonces du gouvernement n’ont en effet pas convaincu les travailleurs. Plus encore, les propositions de « médailles » ou de « défilé du 14 juillet » ont été prises pour ce qu’elles étaient : du mépris, et du vent.

Il faut dire que les revendications les plus importantes du personnel de la santé, à savoir la revalorisation salariale, la réponse au manque de matériel, la création de postes supplémentaires, ne figurent pas dans le plan du gouvernement dont les voltes faces permanentes ont excédé une profession qui s’est largement mobilisée ces dernières années pour exiger, en vain, « du fric pour l’hôpital public ».

La mobilisation sociale prend racine dans les hôpitaux.

Les manifestations devant des hôpitaux qui se sont multipliées ces deux dernières semaines partout en France surviennent alors que le « Ségur de la santé » a été officiellement lancé.

Cette concertation, pilotée par l’ancienne secrétaire générale de la CFDT, doit déboucher sur des propositions à la mi-juillet. Mais, on peut d’ores et déjà affirmer que ces discussions sont loin de répondre aux exigences formulées depuis longtemps par les travailleurs de la santé.

« Après cette pandémie, nous, ce qu’on veut, c’est faire un véritable état des lieux […] On ne peut plus revenir au système de santé en France comme il était il y a quelques mois », a par exemple expliqué à l’AFP Franck Moubeche, aide-soignant et délégué CGT.

Cité par France 24, Stéphane Dauger, chef du service de réanimation pédiatrique de l’hôpital Robert-Debré et membre du Collectif inter-hôpitaux, a également rappelé : « La crise du coronavirus a mis en lumière les difficultés auxquelles les hôpitaux publics sont confrontés [mais] la crise dure depuis longtemps ».

« Les personnels sont épuisés. Il faut des gestes forts de la part du gouvernement dès les prochains jours, avant la mise en place de véritables négociations », a ajouté le praticien, qui juge « urgent » de « sortir l’hôpital public de ce marasme ».

« Ce que nous réclamons depuis plus d’un an, ce ne sont pas des décorations ni des primes mais des salaires décents et des moyens, en lits notamment, pour les hôpitaux », a par ailleurs déclaré au Journal du Dimanche Hugo Huon, le président du collectif Inter Urgences, après l’annonce du gouvernement d’un hommage aux soignants le 14-Juillet et d’une « médaille de l’engagement ».

Des « Mardis de la colère » pour préparer une journée de mobilisation « monstre » le 16 juin

Impulsées par la CGT Santé, les « Mardis de la colère » sont des mobilisations hebdomadaires qui complètent d’autres actions organisées par divers collectifs. Ces manifestations qui réunissent parfois plusieurs centaines de travailleurs de la santé et d’autres secteurs ont lieu sur l’ensemble du territoire et doivent se poursuivre au moins jusqu’à la journée de mobilisation « monstre » du 16 juin.

« Nous on souhaite l’augmentation des salaires, l’arrêt des fermetures de lits, des [nouveaux] postes […] Aujourd’hui on n’est pas entendu […] le gouvernement ne nous a rien apporté de plus qu’une prime », a expliqué Sylvie Lorioz de la CGT Santé au média « Plein air ». « Tous les soignants ne toucheront pas [la prime] alors que certains ont travaillé avec des patients atteints du COVID-19. Certains ne comprennent pas pourquoi ils ne toucheront pas cette prime », a-t-elle ajouté.

Il convient par ailleurs de noter que ces manifestations ont lieu malgré l’interdiction des rassemblements de plus de 10 personnes. Indéniablement, le pouvoir veut pour l’instant éviter une véritable catastrophe médiatique en cas de nouvelle violence policière contre le personnel de la santé et des images de blouses blanches en sang tournant en boucle sur les réseaux sociaux.

Un 16 juin massif et populaire pour rompre avec deux décennies d’asphyxie volontaire de l’hôpital

Une dizaine d’organisations syndicales ou professionnelles appellent à se mobiliser le 16 juin prochain : la CGT, l’Amuf (Association des médecins urgentistes de France), l’APH (Action praticiens hôpital), SUD Santé Sociaux, l’UNSA Santé-sociaux, la CFE-CGC Santé-Social, les collectifs Inter-blocs, Inter-Hôpitaux et Inter-Urgences, le Printemps de la psychiatrie et la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et des maternités de proximité.

Rappelons que depuis trente ans, plusieurs réformes brutales, appliquées par des gouvernements droits comme de « gauche », du milieu hospitalier ont profondément affecté le personnel en charge des patients. Droit des malades (2002), réforme de simplification (2003), grands Plans hôpital de 2007 et de 2012, loi de modernisation du système de santé en 2016, etc…

Rappelons également qu’en avril 2019, les services d’urgence ont initié un mouvement de contestation, rejoints quelques mois plus tard par les chefs médicaux et le personnel hospitalier public dans son ensemble, peu de temps avant le début de l’épidémie.

Les requêtes nombreuses de ce mouvement inédit et historique, à commencer par la revalorisation des salaires, l’arrêt de la tarification à l’acte et l’arrêt des fermetures de lits, exigent des réformes à la hauteur. Ce qui, même après une pandémie, ne semble toujours pas compter parmi les priorités du gouvernement.

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