Comprendre la Grève Générale en Italie contre le génocide à Gaza et en Palestine
Quelques rappels + l’interview du responsable de l’USB (et de la FSM Europe) réalisé par le journal grec Rizospastis (organe du KKE, le Parti Communiste de Grèce) avant l’arrestation illégale des militants de la flottille par les forces génocidaires israéliennes.
En Italie, les principaux syndicats dont notamment l’Union Syndicale de Base, appellent à la grève générale le 3 octobre contre le génocide à Gaza et en Palestine et pour la libération des prisonniers de la flottille.
Grèves, blocages des flux logistiques (notamment dans les ports, plateformes, aéroports), manifestations et actions offensives : en Italie, les travailleurs et le peuple se soulèvent contre le génocide en Palestine. Partout résonne le mot d’ordre de #ToutBloquer, inspiré du mouvement #OnBloqueTout en France.
Le succès de la grève générale du 22 septembre dernier contre le génocide, à l’appel de la seule USB, a démontré l’ampleur de la colère et de la solidarité avec Gaza. Des centaines de milliers de grévistes et de manifestants ont lancé un véritable « ultimatum » (par les actes et non les paroles ou menaces vides de perspectives à l’image de l’intersyndicale française) au gouvernement italien et engagent désormais la suite de la mobilisation.
Ce mouvement, qui s’amplifie depuis des mois, ne tombe pas du ciel. C’est bien le syndicalisme de classe en action, manifesté ici par l’Union Syndicale de Base (USB), puissant syndicat affilié à la Fédération Syndicale Mondiale, qui (débarrassée de l’institutionnalisme et du sionisme) constitue la principale cheville ouvrière (et radicale) en Italie de la lutte contre le génocide.
INTERVIEW DE P. LEONARDI PAR RIZOSPASTIS
Une grève massive de solidarité avec le peuple palestinien, du jamais vu : entretien avec P. Leonardi, responsable du département international de l’Union des syndicats de base (USB) d’Italie
Quelques jours après la grande grève de solidarité avec le peuple palestinien qui a eu lieu le 22 septembre en Italie, le journal « Rizospastis » s’est entretenu avec Pierpaolo Leonardi, responsable du département international de l’Union des syndicats de base (USB) d’Italie et coordinateur du bureau européen de la Fédération syndicale mondiale (FSM).
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Les syndicats de base italiens ont récemment organisé une grève pour dénoncer le crime impérialiste contre le peuple palestinien. Parlez-nous davantage de cela.
Avant la grève du 22 septembre, la situation en Italie n’était pas bonne. Le peuple italien est déçu, il pense qu’il est impossible de changer quoi que ce soit, d’améliorer les conditions, et donc la mobilisation du peuple italien pour soutenir le peuple palestinien est un effort difficile de la part des syndicats.
Nous ne nous attendions pas à une réponse aussi positive, le 22 septembre a été une surprise. Notre confédération a appelé à une grève générale exclusivement pour dénoncer les crimes commis en Palestine, l’intervention terroriste à Gaza et pour soutenir la « Global Sumud Flotilla ». Nous avons des membres de nos organisations syndicales, des dockers de Gênes, qui participent à la flottille de solidarité.
Plus tôt, nous avions appelé à une grève générale le 20 juin, parallèlement aux revendications syndicales, et pour la guerre en Palestine.
La participation le 22 septembre a été très élevée. C’était quelque chose que nous n’avions jamais vu auparavant. De nombreux travailleurs de tous les secteurs, des services publics, de l’industrie, de la logistique, des ports, des chemins de fer, des transports en général, ont participé à la grève.
C’est dans les écoles que la participation a été la plus forte. De nombreux enseignants ont participé aux manifestations avec leurs élèves.
Pour la première fois depuis longtemps, nous avons peut-être vu entre 800 000 et 1 million de personnes descendre dans les rues dans toute l’Italie. Nous avons organisé 82 manifestations. Non seulement dans les grandes villes, mais aussi dans les villages, où, dans plusieurs cas, elles ont été organisées de manière autonome.
La lutte des dockers s’est distinguée…
Les dockers militants de Gênes ont été les premiers à prendre l’initiative de la grève. Quelques mois auparavant, en juin et juillet, ils avaient bloqué le transport d’armes dans les ports italiens. Il y avait également des blocages dans les aéroports. Il s’agissait d’une nouvelle forme de lutte.
L’Italie compte de nombreuses bases de l’OTAN et américaines. Vendredi, à Tarente, une ville italienne du sud qui est un port important, nos organisations ont bloqué des navires américains qui transportaient du carburant vers une base militaire.
La semaine dernière, avec la population de Livourne, nous avons bloqué le transport de chars vers la base américaine et OTAN « Camp Darby ». Le port a été bloqué pendant trois jours, les navires ont été contraints de se dérouter vers Porto Carrara en Toscane.
L’USB organise des blocages dans toute l’Italie et la population se mobilise et participe. C’est très important.
Aujourd’hui (27 septembre), une grande assemblée s’est tenue à Gênes. Hier, une réunion a eu lieu à Gênes avec des syndicalistes des ports de la Méditerranée et d’Europe, du Pirée, de Marseille, de Chypre, de Hambourg, Slovénie, afin de coordonner la lutte et d’empêcher que des armes parviennent à Israël pour bombarder le peuple palestinien.
Nous avons décidé de renforcer nos relations, de coordonner notre lutte commune contre l’État israélien et d’organiser des manifestations simultanées dans différents pays à une date commune.
Ce qui est important pour l’avenir du mouvement syndical, c’est de coordonner la lutte des syndicats.
Comment avez-vous travaillé pour la grève ? De quoi discutait-on sur les lieux de travail ?
L’intérêt des travailleurs italiens pour le génocide à Gaza grandissait de jour en jour. Nous avons organisé des réunions et des assemblées sur les lieux de travail, distribué des tracts, organisé de petits « barrages ». Les travailleurs eux-mêmes ont décidé qu’ils devaient intervenir dans cette situation.
Nous avons par exemple appelé la population à fournir une aide humanitaire pour la « Global Sumud Flotilla ». Beaucoup ont répondu à l’appel. Notre objectif était de collecter 5 tonnes. Au moins 300 tonnes ont été collectées ! Il y avait un nouvel élan de participation et d’action. Chaque jour, nous constations un changement dans l’humeur populaire.
Outre la solidarité avec le peuple palestinien, votre grève comportait également des revendications politiques à l’égard du gouvernement italien…
Outre la dimension humanitaire, il est essentiel pour nous de souligner la dimension politique. De la rendre plus consciente.
Le but de notre grève n’était pas seulement la solidarité, mais nous exigeons du gouvernement italien qu’il mette fin à toute relation avec Israël, qu’elle soit économique, commerciale, diplomatique ou culturelle.
Nos membres dans le domaine de la recherche ont signé une résolution – des milliers de chercheurs – contre la double utilisation de la recherche, c’est-à-dire contre son utilisation à des fins militaires et guerrières.
« Nous ne travaillons pas pour la guerre », tel est notre slogan. Il est très important qu’ils aient lancé ce slogan, la campagne « objection de conscience », afin d’avoir le droit de refuser de travailler à des fins militaires ou guerrières. Des universitaires, des professeurs ont répondu à cet appel.
Ce que nous essayons de faire, c’est de renforcer la conscience anti-impérialiste chez les travailleurs. Car c’est là le problème. Nous avons une intervention impérialiste et colonialiste en Palestine de la part de l’État terroriste israélien, mais nous avons aussi une concurrence interimpérialiste, qui est à l’origine de la nouvelle situation dramatique en Europe et dans le monde. Nous sommes confrontés au risque d’une nouvelle guerre mondiale. L’intensification de la concurrence géopolitique montre que la situation est très préoccupante.
Il semble que les gens commencent à comprendre et il est très important que nous contribuions à cette prise de conscience.
Quelle a été la position du gouvernement italien, des autres partis et des entrepreneurs face à la grève ?
Le syndicalisme patronal et gouvernemental, le gouvernement et les entrepreneurs ont sapé la grève. Mais les gens sont descendus dans la rue.
Deux jours auparavant, le 19 septembre, la confédération CGIL avait appelé à un arrêt de travail uniquement dans le but de saper la grève générale des syndicats de classe. Elle a exclu les services publics, car ceux-ci devaient l’avoir proclamée dix jours plus tôt.
Il y a eu une confrontation au sein de la CGIL, car de nombreux syndicats voulaient participer à la grève générale du 22 septembre. Les membres des syndicats ont critiqué leur direction en disant : « Une grève a été proclamée par l’USB, pourquoi ne pas y participer ? ».
Après la grève et son succès, les médias italiens ont été contraints de relayer l’information, ont diffusé des images des manifestations, et celle-ci a bénéficié d’une large couverture médiatique. Le lendemain matin, la Première ministre, Meloni, a déclaré que nous reconnaîtrions l’État de Palestine, mais sans le Hamas, etc. Cependant, le gouvernement italien a été contraint de prendre cette mesure, pour la première fois. Le ministre de la Défense a annoncé qu’il enverrait une frégate pour escorter la flottille et le ministre des Affaires étrangères a téléphoné à l’ambassadeur israélien pour l’avertir de la sécurité des citoyens italiens participant à la flottille.
Économie de guerre : comment se manifeste-t-elle en Italie ? Quelles sont les conséquences pour le peuple italien ?
Nous luttons contre l’initiative de l’UE « ReArm Europe » et contre la décision de l’UE de dépenser des milliards d’euros pour le réarmement des armées européennes. Nous voulons que cet argent soit donné au peuple. Aux salaires, aux soins de santé publics, aux retraites et au système de sécurité sociale. L’argent des peuples va aux armées et non aux services sociaux.
Partout en Europe, nous assistons à des manifestations similaires, en France, en Grèce, en Belgique, en Italie, contre cette décision politique de l’UE. Dans le même temps, nous avons la « guerre commerciale ».
Les syndicats, les travailleurs d’Europe doivent unir leur lutte contre la guerre, mais aussi contre l’économie de guerre, car ce sont les peuples qui paient les choix de l’UE et des gouvernements.
Les conditions de vie du peuple italien sont très difficiles. Les salaires sont les plus bas de l’UE. Nous avons perdu 30 % de la valeur de notre salaire au cours des dix dernières années.
Le peuple souffre. Mais jusqu’à présent, le syndicalisme patronal ne se bat pas, n’organise pas les travailleurs pour améliorer leurs conditions de travail, leurs salaires, leurs droits. Ils disent que la situation est difficile, que nous travaillons « pour la patrie ».
Ainsi, depuis de nombreuses années, le peuple reste silencieux, il ne se bat pas. Seuls l’USB et les syndicats de classe font pression pour qu’il y ait une réaction.
Nous avons maintenant vu le sentiment humanitaire de solidarité envers le peuple palestinien, l’attitude anti-guerre se combiner avec la nécessité de résister et de lutter pour les droits dans les usines et les bureaux, mais aussi pour les services de santé, qui se sont considérablement détériorés. 70 % du système national de santé est désormais privatisé. Pour obtenir un rendez-vous avec un médecin spécialiste, il faut attendre 6 à 7 mois !
Comment comptez-vous continuer ?
Après la grève, nous essayons de maintenir « vivante » la motivation des gens, de garder les travailleurs mobilisés.
Nous poursuivons l’initiative « Place Gaza » : dans les places centrales des grandes villes italiennes, nous installons des tentes, des stands où nous distribuons des documents, nous publions des communiqués, nous organisons des discours. Nous avons 100 « points pour Gaza ». Car nous ne voulons pas que les gens, les travailleurs qui sont descendus dans la rue, « rentrent chez eux ». Nous voulons qu’ils restent dans la rue, pour la Palestine, pour les droits des travailleurs, pour la paix.
Des gens ordinaires, des passants s’arrêtent, se rassemblent autour des points, lisent le communiqué, discutent, écoutent les discours.
Ce que je tiens peut-être à souligner avant tout, c’est ceci : pour la première fois depuis des décennies, c’est la classe ouvrière qui est en première ligne dans la mobilisation pour la paix. Jusqu’à présent, c’était généralement la « société civile », les étudiants. Les travailleurs « suivaient ».
Cette fois-ci, la grève générale des travailleurs est l’étincelle qui déclenche la lutte contre la guerre. Dans l’histoire du mouvement ouvrier international, la lutte pour la paix a toujours précédé ou suivi une guerre mondiale. À l’époque, le mouvement syndical luttait pour la paix. Récemment, nous n’avons pas eu d’exemple de ce type. C’est pourquoi nous considérons qu’il est très important en Italie que les travailleurs prennent la tête de la lutte contre la guerre.