Michelin a annoncé le vendredi 27 mars une reprise au compte-gouttes de la production en France cette semaine. Le géant français du pneumatique veut ainsi relancer l’activité partiellement à Blavozy, Troyes et Clermont-Ferrand à partir de mardi 31 mars. Pourtant, les mesures sanitaires annoncées pour encadrer cette reprise n’ont pas eu l’effet escompté sur les travailleurs et les syndicats qui s’opposent à la réouverture de la production.
« Dans le contexte de crise sanitaire que nous traversons, le double discours « restez chez vous, mais l’activité économique du pays doit se poursuivre » est incohérent et intolérable ! Des salariés sont contraints de travailler, alors que la fabrication de pneumatiques n’est pas essentielle dans ces circonstances et que la santé du personnel devrait primer sur toute autre considération», a par exemple dénoncé la CGT du site Blavozy, près du Puy-en-Velay, en Haute-Loire.
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Ainsi, la CGT « réclame l’arrêt de toutes les usines en France, la mise en sécurité des salarié(e)s, ainsi que le paiement de ces arrêts contraints à 100%, en prenant sur les dividendes des actionnaires si besoin ».
Alors que la fronde sociale gagne progressivement l’ensemble des secteurs industriels du pays, nous avons interrogé Serge Allègre, ouvrier du caoutchouc, délégué syndical CGT Michelin Blanzy, et secrétaire fédéral de la FNIC CGT.
Entretien avec Serge Allègre, ouvrier chez Michelin et secrétaire fédéral de la FNIC CGT
Peux-tu te présenter brièvement ?
Je m’appelle Serge Allègre. Chaudronnier soudeur de métier, je travaille chez Michelin depuis 1988 en tant qu’agent de fabrication. Je suis également délégué syndical, membre du CSE de Michelin Blanzy depuis 1998 et je suis membre de la direction fédérale de la FNIC CGT depuis 2014.
Les salariés du Caoutchouc sont-ils protégés face au virus, ou au contraire, vivent-ils une situation similaire aux travailleurs de la grande distribution ou de la métallurgie ? Quel est le rôle du patronat de la Chimie dans le maintien de la production non essentielle ?
La difficulté chez Michelin, c’est comme dans toutes les multinationales, l’arrêt des productions sonne comme le glas des bénéfices et des reversements des dividendes. Nous ne sommes pas une économie essentielle mais tellement rentable avec des salaires très faibles pour des productions à très fortes valeurs ajoutées. Il y a clairement une volonté de la part de la direction de maintenir la production du pneu militaire pour alimenter le stock de la mission Barkhane alors que les militaires en faction en Irak reviennent. Or, les enjeux géopolitiques ne sont pas les mêmes. Nous avons contesté le maintien de ces productions militaires qui concerne quelques dizaines de salariés, mais en vain, le business à la peau plus dure que le virus et la santé des salariés.
Toutes les usines de production sont à l’arrêt depuis le 17 mars avec une prise en charge à 100% sur les 2 premiers jours par Michelin puis vol de la 5ème semaine de congé payé et de 3 RTT et des jours sur le CET. La mise en activité partielle si elle doit avoir lieu se fera le 1er avril. Pas d’accord d’entreprise ni de branche pour prendre les congés mais loi d’urgence sanitaire et ordonnance font le plaisir de Michelin.
Par ailleurs, sur le site de Michelin Blanzy, nous avons obtenu qu’il n’y ait pas de reprise autrement qu’avec des salariés volontaires. Tous les salariés ne désirant pas reprendre le travail afin de répondre aux règles du confinement seront déclarés en activité partielle, et de plus, l’accord sur la prise de congé demandé par la direction centrale de Michelin a été rejeté par tous les syndicats. Toutefois, attention, ils ont jusqu’à mercredi soir pour se positionner.
Le pays est-il en train de redécouvrir que sans la classe ouvrière rien ne peut fonctionner ?
Depuis toujours, le capitalisme qu’il soit dans le Caoutchouc ou dans la Chimie, a la main sur les moyens de production. Cela ne l’empêche pas (au contraire) d’inverser les rôles et de prétendre qu’il est « indispensable ». Il suffit de regarder ce qu’il se passe aujourd’hui avec la crise sanitaire. Qui pleure ? Qui envoie les salariés à l’abattoir au risque d’être contaminé par le virus ? Leurs machines, et leurs beaux jouets ne valent rien sans la force et l’intelligence des travailleurs. Sans nous, il n’y a pas de production. Aujourd’hui, le robinet à fric s’est arrêté et ces patrons appellent à l’unité nationale, à la solidarité. Ces gens qui n’hésitent jamais à nous détruire et à exiger la suppression de nos droits, sont des hypocrites.
Alors que Michelin a annoncé il y a quelques semaines la fermeture du site de la Roche sur Yon, que révèle la crise sur l’état de notre industrie, et sur la mentalité du patron ?
La mentalité de Michelin est à l’identique de ceux qui exigent des aides publiques pour financer des machines qu’ils envoient directement dans les pays où ils ont délocalisé les productions. Un exemple pour Michelin : le groupe a engrangé pour son site de la Roche sur Yon près de 4.5 millions d’euros du CICE pour l’achat de 3 machines ultra performantes qui n’ont jamais été sorti des cartons et envoyé dans les usines de l’Est, Espagne. Pire, le groupe Michelin va finalement fermer le site de la Roche sur Yon, après avoir joué sur le chantage à l’emploi pour justement bénéficier de ces millions d’euros payés par le travailleur et le contribuable…
Pour les capitalistes le monde se limite aux marges et aux profits. Avant que cette crise sanitaire n’éclate, Michelin devait, après le deuxième tour des élections municipales, faire des annonces de plan de compétitivité avec des accords de régression sociale. Il faudra augmenter la productivité de +20% ce qui imposera avec l’outil de production actuel des modifications d’organisations de temps de travail, d’accepter de travailler plus pour gagner moins, le travail gratuit pourrait s’étendre avec des suppressions de RTT sans augmentation de salaire, des accords types Michelin Joué les Tours avec 726 suppressions d’emploi. Pour mémoire, ces accords, qui ont la finalité que nous connaissons tous, avaient été qualifiés d’ « historiques » par les syndicats SUD, CFDT, CGC et FO à la Roche sur Yon,. J’ai bien peur que cette crise ne serve avant tout la cause boursière de cette entreprise et qu’elle en profite pour dégraisser encore plus les effectifs en France.
La FNIC CGT exige l’arrêt immédiat de toutes les industries non essentielles et utiles à la nation, comment cela se matérialiserait-il dans le secteur du caoutchouc ? Que revendiquez vous comme dispositifs pour protéger les salariés des secteurs essentiels ?
Dans le caoutchouc, la FNIC a la volonté de protéger les salariés. Nous avons réalisé des circulaires des tracts pour faire valoir le droit de retrait. Nous avons notamment mis à disposition un document-modèle pour établir un DGI (Danger Grave Imminent) forçant souvent les entreprises à arrêter la production et à fermer l’usine.
Les usines Michelin, Hutchinson, Continental, Trelleborg, Tristone, Bridgestone, Goodyear, Dunlop, Paulstra, Joint Français etc… ont été mises à l’arrêt total ou partiel. Mais, après un confinement de 15 jours, les entreprises commencent à faire entendre que cette situation a assez duré et qu’il va falloir réorganiser le redémarrage. Pour la FNIC-CGT, seule la santé des salariés va orienter nos décisions et tant que le confinement reste la seule solution pour endiguer la propagation du virus, et que les barrières sanitaires ne seront pas suffisantes et concluantes, nous continuerons de faire valoir le droit de retrait et, qui sait, peut-être appeler à la grève.
Nous exigeons que notre pays, 6ème puissance économique mondiale, livre les masques qui devaient être livré depuis des semaines aux personnels soignants. Nous revendiquons également la réouverture des infrastructures hospitalières qui ont été fermées et la fabrication des appareils respiratoires qui aujourd’hui font cruellement défaut.
Nous revendiquons également la nationalisation immédiate des entreprises Famar et Luxfer afin de répondre aux besoins vitaux de la population.