« Seul le peuple donne au peuple sa dignité » : entretien avec le responsable de la CGT Energie Paris

Nous avons réalisé une nouvelle interview du responsable de la CGT Energie Paris. Ce dernier revient sur la situation des travailleurs de l’Energie ainsi que sur les questions éminemment politiques que pose l’actuelle situation sociale, économique et sanitaire.

Par ailleurs, nous avons appris ce matin que la CGT a déposé un danger grave imminent il y a quelques jours sur le périmètre national du groupe GrDF, et suite au retour de l’Inspection du travail d’hier, la direction a été contrainte de suspendre la séance du CSEC d’aujourd’hui pour pouvoir inscrire des mesures conservatoires compatibles avec les recommandations de la CGT validées par l’Inspection du travail.

Entretien avec le responsable de la CGT Energie Paris sur la situation sociale, politique et sanitaire du pays

Peux-tu te présenter brièvement ?

Je m’appelle Cédric Liechti et je suis secrétaire général du syndicat CGT Energie Paris qui regroupe tous les électriciens et gaziers parisiens. Je suis moi-même rattaché au groupe ENGIE, ex Gaz de France.

Quels sont les premiers retours que vous recevez des travailleurs de l’Energie ? Les salariés sont-ils protégés ou au contraire, vivent-ils une situation similaire aux travailleurs de la grande distribution ou de la chimie ?

La première chose qu’il convient d’expliquer, c’est que depuis le début du confinement il n’y a pas un seul jour où la CGT à Paris et en Ile de France n’est pas intervenue auprès des directions Gaz ou Électriques pour faire cesser des situations de mise en danger de collègues.

À titre d’exemple, aujourd’hui même du côté Enedis, le distributeur d’électricité, nous sommes intervenus pour dénoncer la situation d’un service à Paris ou un collègue a présenté des symptômes pouvant être liés au COVID 19, et à l’heure où j’écris ces lignes les autres collègues de son service n’ont pas été placé en confinement et étaient donc présents au travail aujourd’hui avec la boule au ventre, et une inquiétude grandissante quant à la possibilité d’être contaminés eux-mêmes.

Côté Gaz, également aujourd’hui, des agents ont été convoqué par leur responsable pour venir chercher des outils informatiques sur le lieu de travail, alors que leur mission n’est absolument pas prioritaire.

Ceci étant dit, nous sommes dans des entreprises où la CGT est de loin la première organisation syndicale et cela joue un rôle majeur, en termes de rapport de force face au patronat pour réussir à imposer un minimum de respect des règles de santé et de sécurité pour les agents des industries électriques et gazières.

Par ailleurs, notre statut national issu du Conseil national de la Résistance, contient beaucoup d’articles qui permettent une protection beaucoup plus grande des agents face aux injonctions des directions.

En résumé, nous avons le même patronat que dans la grande distribution ou le commerce par exemple, mais les outils de défense des salariés, (CGT et Statut national par exemple) sont beaucoup plus développés et nous permettent donc des marges de manœuvre plus importantes pour la défense de nos conditions de travail et de notre santé.

Cette pandémie est-elle l’occasion rêvée pour le gouvernement et le patronat de nous faire payer la crise économique ?

Évidemment la pandémie est utilisée par le patronat et son gouvernement larbin, pour faire payer aux travailleuses et travailleurs la crise financière issue exclusivement du système capitaliste.

Je pense qu’il est important de rappeler que si nous sommes dans un confinement global en France, c’est par choix politique de ne pas mettre les moyens pour développer un dépistage systématique massif de toute la population.

Résultats, nous ne sommes pas capables d’évaluer la réalité de la pandémie actuelle et il est évident que dans les secteurs où le travail continue, comme le nôtre, nombre d’agents porteur saints du virus le transmettent involontairement à d’autres agents qui auront sans doute des complications bien plus graves.

À ce titre, le gouvernement a donc fait le choix de sacrifier des milliers de vies au détriment du développement de moyens pour le service public de la santé, que ce soit en termes de dépistage, de fabrication de masques où de moyens pour les personnels de santé et les hôpitaux.

Je note d’ailleurs qu’on a à faire à une médecine de classe actuellement, puisque chaque député ou ministre, dès qu’il a le moindre petit symptôme, est dépisté au Covid-19, alors que les classes populaires et ce qui est qualifiée de « classe moyenne », à moins d’être en insuffisance respiratoire, sont confinés, sans aucun dépistage et sans aucun traitement.

En revanche, le gouvernement s’est empressé d’injecter prêt de 900 milliards d’euros d’argent public dans l’économie capitaliste et parallèlement, prend des mesures par ordonnances dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire pour massacrer le droit du travail au travers du déplafonnement de la durée légale du travail et de la destruction d’une partie des congés payés.

À titre d’exemple dans l’énergie, certains secteurs dits essentiels vont pouvoir travailler jusqu’à 60 heures par semaine, et plusieurs directions ont déjà signifié que les vacances posées par les agents dans les prochaines semaines ne pourront pas être reportées alors même que nombre de ces agents sont en télétravail chez eux.

Concrètement, Il y a donc des agents du service public de l’électricité et du gaz qui vont se retrouver à travailler sur leurs vacances. Le e patronat est donc en train de s’essuyer les pieds sur les conquis sociaux de 1936 et du Front populaire.

Le pays redécouvre-t-il que sans certains secteurs dits essentiels, sans le maintien d’une production industrielle et d’une chaine logistique minimale, rien ne peut tourner ?

Effectivement, je pense qu’il faut s’efforcer d’avoir toujours une analyse de classe face aux événements quels qu’ils soient. À ce titre, cette crise sanitaire et politique remet au premier plan et de façon criante, nombres de revendications que la CGT a porté dans les luttes sociales ces dernières années.

Par exemple, oui les services publics sont vitaux et essentiels à la nation et doivent donc échapper à toute spéculation.

Alors que les capitalistes ont géré les hôpitaux comme des entreprises privées et que les différents gouvernements ont supprimé des centaines de milliers de lits et des dizaines de milliers de postes ces dernières années, la population s’aperçoit de la nécessité absolue d’avoir partout sur les territoires, des hôpitaux modernes, bien équipés, avec un nombre de personnels soignants conséquent et bien payés.

Ce constat s’applique d’ailleurs à tous les services publics que ce soit le mien dans l’énergie, la poste, les transports (SNCF, RATP) l’éducation ou la culture.

Je note d’ailleurs que tous ces secteurs ont connu des grèves massives dans les 3 dernières années et étaient à la pointe de la lutte pour certains, dans le combat contre la retraite à points.

Mais, j’ajouterai une donnée supplémentaire primordiale, c’est que des secteurs privés se révèlent aujourd’hui indispensables à la vie de la nation, et effectuent de véritables missions de service public.

Je pense évidemment au secteur de l’agroalimentaire et de la grande distribution. Tous ces travailleurs des magasins d’alimentation sont en première ligne face au capital et face au virus.

Ces femmes et ces hommes qui ont d’ailleurs des bases salariales extrêmement basses, délivrent chaque jour une mission essentielle, à savoir nourrir la population française au péril de leur santé.

Cela doit donc amener la CGT et les politiques se réclamant de gauche, à se mobiliser et à œuvrer pour réclamer par exemple, la nationalisation de la grande distribution avec un statut extrêmement protecteur et des salaires dignes pour tous les travailleurs de ce secteur.

Je rappelle d’ailleurs que l’argent public, via l’infâme CICE, a fait cadeau de 450 millions d’euros au groupe Carrefour ces dernières années.

Si les Français ont donc déjà payée massivement via leurs impôts pour la grande distribution, autant qu’ils contrôlent démocratiquement ce secteur vital !!

Que révèle la crise générale sur l’état de notre industrie ? Par exemple, alors que le projet Hercule vise à poursuivre le processus de démantèlement d’EDF, même en pleine pandémie, quelles sont les propositions de la CGT Energie ? Comment faire pour entraver cette puissante offensive du capital contre nos droits, en plein confinement obligatoire et restrictions sévères des libertés démocratiques ?

Cette crise révèle que les grands secteurs de l’économie doivent être mis au service public de la nation, sous le contrôle démocratique du peuple.

Alors même que dans l’énergie, les projets Hercule et Neptune s’apprêtent à démanteler les restes du service public nationalisé à la Libération, il nous faut tout au contraire nous mobiliser massivement par la grève, pour imposer la nationalisation avec le contrôle exclusif des représentants des salariés et des usagers, de tous les secteurs stratégiques.

C’est en ce sens que les revendications de la CGT doivent être portées dès à présent à toute la population et sans aucune ambiguïté.

Alors même que le patron du Medef avance ses pions en indiquant « qu’un régime autocratique serait beaucoup plus efficace pour endiguer tout type de pandémie », alors même que c’est le système capitaliste qu’il défend, qui est responsable exclusivement de tout ce qui est en train de se passer, la CGT doit se positionner clairement en tant qu’adversaire de classe de ce système qui nous mène droit à des catastrophes sanitaires et à la ruine sociale.

Nous devons maintenant porter partout la revendication du contrôle démocratique dans le monde du travail aux seuls représentants élus des salariés dans toutes les entreprises et des usagers dans les services publics.

A titre d’exemple, si le peuple avait décidé, jamais il n’aurait supprimé les stocks de masque FFP2, jamais il n’aurait fermé des hôpitaux de proximité dans les villes ou dans les campagnes. Bien au contraire, il aurait développé les postes de personnel soignant et de médecin partout sur le territoire.

À ce titre, signalons le rôle d’un petit pays socialiste et collectiviste qui s’appelle Cuba et qui actuellement, vient au chevet de plusieurs pays occidentaux grâce à ses nombreux médecins issu d’un système de santé extraordinaire qui échappe à toutes logiques marchandes, malgré un embargo meurtrier de plus de 70 ans.

Ayons conscience, nous citoyennes et citoyens français, que le confinement que nous subissons actuellement, à plus vocation à confiner nos droits sociaux que le coronavirus, et c’est bien cela qui est révoltant.

C’est pourquoi à l’issue de cette lourde épreuve pour notre peuple, nous avons le devoir impérieux en tant que militantes et militants de la CGT de nous battre pour un changement radical de société.

En conclusion, seul le peuple donne au peuple sa dignité, c’est pourquoi la question de la grève doit se poser dès maintenant !

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