Jeudi dernier, des syndicalistes cheminots CGT révélaient que la direction de la SNCF versait des primes, allant de 300 à 1500 euros, aux salariés non-grévistes pour les remercier de leur « professionnalisme », « implication » et « grande disponibilité » pendant la grève contre la réforme des retraites.
Si ces manœuvres de corruption ne sont pas surprenantes, au vu du conflit social de haute intensité, elles sont moralement inacceptables, et bien sûr, totalement illégales. C’est d’ailleurs ce qu’ont rappelé les cheminots CGT tant sur les réseaux sociaux que dans leurs diverses interventions.
Par exemple, le syndicat CGT des cheminots de Trappes et Rambouillet, a publié un communiqué dès le jeudi 30 janvier pour exprimer sa « profonde indignation ».
« [Ce procédé est] d’une part insultant envers les cheminots qui se sont battus et qui se battent encore pour obtenir le retrait de cette contre-réforme […] au prix de lourds sacrifices, notamment financiers. D’autre part, [cette prime] est destinée à provoquer des tensions entre travailleurs d’un même bassin d’emploi, entre grévistes et non-grévistes » analyse la CGT Cheminot Trappes, avant de rappeler que la décision de la SNCF va à l’encontre de l’article L.2511-1 du code du travail.
Le communiqué appelle les agents qui bénéficient de ces gratifications « à y renoncer solennellement, ou à la reverser dans leurs caisses de solidarité respectives » et demande également à la direction de verser « une prime équivalente à tout le personnel de l’établissement » afin de mettre un terme à la discrimination entre grévistes et non-grévistes.
LA SCNF « assume » ses basses manœuvres
Devant l’évidence, la direction de la SNCF a préféré s’enfermer dans un déni officiel : « La SNCF confirme et assume l’attribution par des managers locaux de primes exceptionnelles à certains agents qui se sont mobilisés de façon exceptionnelle et sur une période particulièrement longue pour assurer la continuité du service public ».
« La tentative de politisation de ces mesures managériales classiques récompensant du travail supplémentaire est tout à fait déplacée. », ajoute encore la direction sur un ton provocateur.
Pourtant, de nombreux juristes pointent du doigt les précédents. Ainsi, Me Éric Rocheblave, avocat spécialiste en droit du travail, a souligné que « la Cour de cassation a déjà jugé qu’“est discriminatoire l’attribution par l’employeur d’une prime aux salariés selon qu’ils ont participé ou non à un mouvement de grève” ». L’avocat a ajouté que selon la Cour de cassation, « pour attribuer une prime aux seuls salariés non-grévistes, l’employeur doit caractériser un surcroît de travail [pour ces salariés] ».
La riposte immédiate des cheminots des ateliers
Si les syndicats prendront leurs responsabilités pour mettre la SNCF au pied du mur dans un tribunal, la riposte sur le terrain ne s’est pas fait attendre. Dès l’annonce des versements illégaux de primes, les cheminots des ateliers de Montrouge dès le jeudi, suivis par ceux de Trappes à partir du vendredi, se sont immédiatement pris en main en faisant débrayer l’ensemble des équipes, y compris les agents de maîtrise très remontés.
Les actions et rassemblements organisés par exemple de manière conjointe par les cheminots des ateliers de Trappes et Montrouge le lundi 3 février, ont d’ailleurs illustré la colère légitime et la détermination des travailleurs du rail, à la fois contre les politiques et manœuvres de corruption et de division, mais aussi (et toujours) contre la réforme des retraites.
Contacté au téléphone, Axel Persson, secrétaire général du syndicat CGT des cheminots de Trappes et Rambouillet, n’a pas mâché ses mots : « Ces primes sont illégales et immorales. Illégales au droit du travail car le code du travail prévoit l’interdiction d’octroi d’avantages en matière de rémunération à un salarié au seul prétexte qu’il n’a pas participé à une grève. Immorale parce qu’elles tendent et divisent le collectif de travail. »
« Néanmoins, la réaction unanime des cheminots des deux ateliers a démontré que la manœuvre avait échoué de ce point de vue. La direction a du s’engager auprès des cheminots rassemblés des deux ateliers sur diverses mesures locales visant à apaiser le climat dans les mois à venir. Elle a du en rabattre face à la colère cheminote. », a précisé le responsable CGT, avant d’ajouter : « Cela va compter pour l’avenir dans les deux ateliers où cette mobilisation a ressoudé les liens entre les équipes, des figures ont émerges et ont fait la démonstration que c’était tous ensemble unis et mobilisés que le respect et la dignité s’imposait. »