Nous vivons un moment paradoxal. Le mouvement social ne sera pas victorieux immédiatement. Malgré les avertissements du Conseil d’Etat, malgré les mensonges sur l’âge pivot et l’étude d’impact, le gouvernement va tout faire pour accélérer l’adoption de la loi.
Toutefois, comme le rappelle l’adage, « là où il y a une volonté, il y a un chemin ». Et de la volonté, la classe ouvrière en a à revendre. Sinon, comment expliquer la durée exceptionnelle du conflit social, en dépit des manipulations médiatiques et de la marche au bulldozer du gouvernement ?
Chacun d’entre nous doit prendre conscience que nous ne sommes pas dans une situation « normale ». Si Macron accélère le processus de régression sociale avec sa réforme des retraites, l’ampleur de la mobilisation laisse entrevoir la possibilité de mettre un « stop » à ces politiques.
Trois choses au moins sont certaines.
- Deux nouvelles journées nationales de lutte ont été annoncées pour les 13 et 20 février. Plus de deux mois après le début du mouvement social, et alors que la bataille parlementaire ne fait que commencer, les journées de grèves et de mobilisations impulsées par la CGT démontrent en pratique la détermination renforcée de centaines de milliers de travailleurs.
- Ce mouvement social reflète la combativité d’une classe ouvrière en recomposition. Une nouvelle journée noire dans les transports se profile pour la date du lundi 17 février, et sans doute du 20 février. Les cheminots, traminots, mais également les raffineurs, les portuaires et dockers, qui figurent parmi les professions les plus mobilisées, n’ont toujours pas renoncé.
- Le pouvoir, par manque de légitimité, incompétence et dogmatisme idéologique, ne cherche plus à cacher son caractère foncièrement autoritaire. La répression brutale des lycéens mobilisés contre les E3C ces derniers jours a jeté une lumière crue sur les méthodes inacceptables de management de la contestation. Cela pourrait inciter la jeunesse à rejoindre la mobilisation après la rentrée scolaire.
Sans fantasmer l’avenir, l’espoir d’assister à une mobilisation conséquente et cohérente de secteurs entiers ne relève pas du vœu pieu. Mais, pour espérer un printemps des luttes explosif, et une offensive du monde du travail d’une ampleur suffisante pour faire douter Macron et faire reculer le gouvernement, il faut tenir le mois de février, marquer les esprits lors des temps forts et poursuivre la grève et les actions.
Une perspective de victoire existe, mais elle ne sera à portée de main que lorsque nous parviendrons à paralyser et disloquer l’économie, et donc rendre compliqué et difficile, puis impossible la « gouvernance » du pays. En clair, ils ne céderont que lorsque nous aurons rendu la France ingouvernable par l’application inflexible, simultanée et massive, de la grève.
Se projeter dans l’avenir, dépasser la grève par procuration et renforcer la CGT
Pour gagner, il n’y a pas de solution miracle. Le soutien de « l’opinion publique » très largement acquise aux grévistes, doit évoluer de « passif » à « actif ». La grève par procuration, doit ainsi être définitivement rangée dans le placard des antiquités. Mais redonner confiance dans la lutte syndicale et dans la possibilité de la victoire passe également par une réflexion sur l’état de la syndicalisation.
A titre d’exemple, les enseignants, un corps de plus de 800 00 travailleurs précarisés depuis des années malgré un statut protecteur, et directement visés par la réforme des retraites, ne sont pourtant que très partiellement mobilisés en dehors des temps forts.
A l’instar d’autres secteurs du privé, le corps des enseignants subi lui aussi les conséquences de la déliquescence des organisations syndicales. Cela prouve au passage que l’addition mathématique « d’individus énervés » ne marche pas, et que pour gagner, il faut se syndiquer, s’organiser, en bref, construire une alternative de classe qui s’enracine à partir des lieux de travail.
Cette restructuration syndicale n’arrivera pas par magie – ni même forcément à temps pour remporter la victoire sur les retraites. Mais le travail d’organisation et de reconstruction des structures militantes à la base, entreprise par entreprise, secteur par secteur, service par service, est et sera toujours payant.
Pour trouver les solutions adaptées à la situation, il faut poser les bonnes questions
Une vraie interrogation autour du « comment mobiliser les salariés les plus précaires ? » doit impérativement être posée si la CGT souhaite se (re)développer dans des secteurs essentiels, notamment et avant tout les secteurs structurants de l’industrie, où, à l’instar de la métallurgie, de l’agroalimentaire ou du bâtiment, des centaines de milliers d’intérimaires sont livrés à eux-mêmes, et surtout abandonnés face au patron.
Prendre le taureau par les cornes signifie dépasser nos propres illusions sur l’état de nos organisations. Une nouvelle dynamique d’enracinement dans les secteurs industriels qui étaient autrefois des bastions cégétistes est indispensable et ne pourra que s’appuyer sur les forces CGT déjà présentes.
Comment élargir la grève, étendre la mobilisation à d’autres secteurs et paralyser l’économie du pays si nous faisons l’impasse sur une stratégie de sensibilisation et de syndicalisation dans tous les secteurs productifs du pays ?
L’idée, que les travailleurs peuvent et doivent s’organiser pour défendre leurs propres intérêts de classe, est aussi vieille que le mouvement ouvrier lui-même. Elle ne peut également qu’inclure ceux qui sont privés d’emplois, ces millions de travailleurs jetés par le patronat dans le chômage, la misère et la galère et qui subissent de plein fouet le règne du capital.
Cette tâche, difficile et de longue haleine, ne pourra être accomplie que par des syndicalistes CGT. Mais sa réalisation ne concerne pas que la « CGT », elle concerne l’avenir du mouvement ouvrier organisé, débarrassé des illusions du syndicalisme rassemblé, de la cogestion et de la collaboration de classe.