« En maintenant les entreprises ouvertes, le gouvernement engorge encore plus les services hospitaliers déjà saturés, c’est criminel » : dans une longue interview accordée à Unité CGT, Mathieu Piotrkowski, secrétaire général de l’Union Syndicale Départementale CGT Santé et Action Sociale de la Moselle, a répondu à nos questions.
Le responsable CGT est revenu sur la destruction de l’Hôpital public, la situation scandaleuse pour les usagers et les salariés dans les EHPAD, le danger des mesures prises par le gouvernement. Il a notamment affirmé avec force la nécessité absolue et urgente, non seulement de réquisitionner les structures hospitalières privées, mais aussi d’arrêter immédiatement les activités non-essentielles.
Peux-tu te présenter brièvement ?
Je m’appelle Mathieu Piotrkowski, je suis salarié d’APF France Handicap, Educateur de Jeunes Enfants au sein d’un établissement médico-social qui accompagne des enfants en situation de handicap moteur.
Je suis délégué syndical central d’APF FH et secrétaire général de l’Union Syndicale Départementale CGT Santé et Action Sociale de la Moselle.
Peux-tu nous décrire la situation que vous vivez, dans la Santé, et en Moselle ?
En Moselle la situation, particulièrement difficile et tendue sur notre secteur, est bien antérieure à la crise sanitaire que nous vivons. Nous subissons de plein fouet les politiques d’austérité qui s’abattent sur l’hôpital depuis des années. Ce sont plusieurs centaines d’emplois qui ont disparu à l’hôpital sur notre territoire.
Sur Metz, nous menons une lutte depuis bientôt deux ans sur l’offre de soin. Les urgences de l’hôpital militaire Legouest ont fermé la nuit, réduisant de moitié la capacité d’accueil du service, avec à terme une forte crainte concernant la fermeture complète de l’hôpital. La clinique privée, gérée par le groupe privé lucratif ELSAN, doit déménager à l’aune d’un projet immobilier à plus de 10km de Metz et demandait déjà de réorienter certaines urgences vers l’hôpital public, le Centre Hospitalier Régional (CHR).
Aujourd’hui la situation est clairement critique en Moselle, le nombre de lits de réanimation occupés a été multiplié par 5. Hier, la quasi-totalité des lits de réanimation étaient occupés. Nous manquons de respirateurs et d’ici la fin de la semaine, la situation risque d’être aussi dramatique qu’à Mulhouse, avec concrètement l’impossibilité de fournir des lits de réanimation à des patients en urgence vitale.
Meurt-on du coronavirus ou de l’incapacité de notre système de santé à répondre correctement à une crise sanitaire majeure après plusieurs décennies de casse organisée des services publics ? La crise dans les EHPAD n’est-elle pas aussi liée à la situation, déjà catastrophique avant la pandémie, de délabrement du système public de soin ?
Il est indispensable de rappeler ici, que depuis 30 ans, PLUS DE 60 000 LITS ont été supprimés, que les hôpitaux ont été « modernisés », ce qui veut dire : réduction des coûts, effacement des médecins au profit des directeurs managers, rentabilité érigée en objectif premier pour nos hôpitaux.
Alors comment s’étonner ou faire mine de l’être, lorsque le citoyen apprend que la dernière commande de masques datait pour le secteur hospitalier, de 2011 ?!
Ce simple fait démontre si besoin en était, l’état de notre hôpital. Cela rend encore plus criante la grève des Urgences, soutenue par plus de 95% de nos concitoyens, grève demeurée sans réponse crédible de la part du pouvoir. Pire, alors qu’une majorité de soignants se retrouve en invalidité avant la retraite, c’est désormais 4 années de plus de travail qui viendraient s’ajouter avec la retraite par points.
Tirer les leçons de ces politiques d’austérité est le préalable à la compréhension de la situation à laquelle, personnel médical, du médico-social, salariés du privé intervenant dans le secteur hospitalier, sont confrontés.
Les EHPAD comme l’hôpital, qui devraient relever exclusivement de la fonction publique, sont livrés en pâtures aux groupes privées lucratifs. On pouvait voir, juste avant la crise sanitaire, des publicités vantant le rendement des placements financiers dans le secteur. La crise dans les EHPAD a explosé il y a maintenant plus de deux ans et les personnels, avec la CGT, ont mené un mouvement d’ampleur en 2018.
13 toilettes en une matinée avec 11 minutes à passer auprès de chaque personne âgée, des actes minutées, la précarité et les bas salaires : voilà la réalité des personnels d’EHPAD. Ils vivent la double peine de la surexploitation et de ne pas pouvoir faire leur travail correctement auprès de personnes âgées qui souffrent également de leurs conditions de vie.
Aujourd’hui dans de nombreux établissements, du médico-social EHPAD et accueil des personnes en situation de handicap, il n’y a pas de protections, pas de masques. Des salariés tombent malades, sont exposés par l’Etat et les employeurs. Ils prennent des risques et sont particulièrement inquiets pour eux, pour leur proches et pour les personnes accueillies. Le droit du travail et les libertés syndicales sont bafoués au prétexte de la crise sanitaire, nous sommes sur deux fronts, celui de faire face à la crise et à nos « managers ».
Les soignants et le personnel de santé sont en première ligne. Quel est l’état d’esprit des travailleurs de la Santé ? La colère sociale s’exprime-t-elle ? S’exprimera-t-elle quand la pandémie sera jugulée ?
En premier lieu c’est la solidarité qui s’exprime dans les services entres salariés et agents. Les collègues sont soudés, des collègues retraités reviennent, les étudiants aides-soignants et infirmiers sont mobilisés. Force est de constater que pour l’heure, seule la mobilisation de l’ensemble des personnels est à la hauteur de la pandémie.
Les militants de la CGT de Moselle sont en première ligne dans les structures de la santé publique, dans les hôpitaux. Ils doivent veiller au respect, aux besoins exprimés par leurs collègues, ils savent et chacun doit savoir que la détermination, le courage, le professionnalisme ne peuvent suffire à endiguer la crise. Chaque jour nos militants y vont au moral, comme l’ensemble des personnels. Ils incarnent la fonction publique au service du citoyen, et plus encore de la vie. Ils ne veulent pas être des héros, mais entendent bien assumer leurs responsabilités. Leurs vies ne sauraient dépendre d’une politique d’austérité malvenue.
La colère est très présente et s’exprime d’ores et déjà dans les services, les salariés et les agents veulent des actes, et ne comptent pas attendre la fin de la crise pour que leurs salaires soient revalorisés. Pour répondre à la crise, les salariés exigent aujourd’hui les investissements « promis » par Macron. Nous sommes conscients que c’est par le rapport de force que nous les obtiendront. Les salariés de la santé, du médico-social, et du secteur social, dont tout le monde clame aujourd’hui qu’ils sont indispensables, ont conscience de ce rapport de force. Il est indispensable qu’il soit actionné par la CGT.
On constate ici et là que les services privés de santé n’ont pas été mobilisées pour lutter contre le coronavirus. Cette situation est-elle normale ? Que préconisez-vous ?
D’abord, il convient de rappeler que la majorité des lits de réanimations sont dans les hôpitaux publics. Sur les 5000 lits de réanimations existant dans les hôpitaux français, seuls 700 relèvent du privé lucratif. C’est une conséquence de la tarification à l’acte. Les actes les plus rentables sont assurés par le secteur privé en France. Cela crée des inégalités territoriales qui sont aujourd’hui un facteur aggravant dans la crise sanitaire que nous vivons.
Aujourd’hui, les fonds de pensions propriétaires de ces cliniques privées se soucient bien plus de leurs résultats financiers que de la crise et de ses conséquences pour la population.
Il faut dès aujourd’hui réquisitionner le privé lucratif et demain exproprier les groupes financiers du secteur pour une santé 100% publique.
Le gouvernement oscille entre amateurisme et gestion ultra sécuritaire de la crise sanitaire. Que pensez-vous des offensives du pouvoir contre le code du travail ? Quelles sont les revendications de l’USD CGT 57 pour répondre aux urgences ?
Le gouvernement dont la responsabilité est accablante dans cette crise, en profite de manière scandaleuse pour permettre aux patrons de déroger aux règles du codes du travail. Il expose encore plus les salariés qui aujourd’hui assurent les services « essentiels ».
L’USD CGT 57 exige l’abrogation de ces mesures. Aujourd’hui les principales revendications sont :
- La fourniture d’Équipements de protections en quantité nécessaire pour toutes les structures et tous les services et notamment les masques FFP2
- La fourniture des équipements nécessaires notamment les respirateurs
- La généralisation des tests COVID pour tous les personnels de santé
- La fermeture immédiate des entreprises non essentielles pour ne pas exposer les salariés et surcharger encore plus les structures hospitalières
- La reconnaissance pour toutes et tous de la maladie professionnelle en cas de contamination
- La revalorisation immédiate des salaires dans notre secteur
- La réouverture immédiate des lits nécessaires dans tous les services
En Italie, 400 infirmières ont appelé dans une lettre ouverte les travailleurs à faire grève pour forcer le patronat et le gouvernement à arrêter la production non-essentielle. En France, plusieurs syndicats CGT exigent également l’arrêt immédiat de toutes les industries non essentielles et utiles à la nation. Quel est votre avis sur cette question ?
L’arrêt de la production non essentielle est indispensable, il est inadmissible que les salariés mais également la population et les personnels soignants soient sacrifiés sur l’autel du profit dans cette crise. Des mesures de restriction de l’activité ont été prises récemment en Espagne et en Italie.
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Il faut que le gouvernement français stoppe la production non essentielle, c’est la seule manière aujourd’hui d’endiguer la pandémie. Les appels à la grève de nos camarades CGT dans différents secteurs, notamment dans l’automobile, sont salutaires.
Maintenir les entreprises ouvertes expose évidemment les salariés, mais favorise également la circulation du virus, les salariés ramènent le virus chez eux, ils exposent leurs proches. En maintenant les entreprises ouvertes, le gouvernement engorge encore plus les services hospitaliers déjà saturés, c’est criminel.