Les ouvriers de l’agroalimentaire sont, comme les soignants, les caissiers, les éboueurs, les égoutiers, les salariés de l’énergie, en première ligne. Nous avons interrogé Christian Porta, délégué CGT de l’entreprise Neuhauser en Moselle, sur la situation vécue par les salariés dans la boîte et par la population. Notre camarade cégétiste a notamment pointé du doigt l’hypocrisie capitaliste consistant à remplir les stocks de denrées alimentaires alors que les familles populaires peinent à se nourrir.
Rappelons que Neuhauser est une entreprise de boulangerie et viennoiserie industrielle, en lien direct avec les mastodontes de la grande distribution. Les ouvriers de cette entreprise fabriquent des baguettes, des pains spéciaux, des croissants, des pains au chocolat, des beignets, des brioches etc. Neuhauser est la propriété du groupe Soufflet, plus grand céréalier en Europe (et propriétaire de la plus grande malterie au monde) et qui réalise un chiffre d’affaire annuel de presque 5 milliards d’euros. Le patron, Michel Soufflet, fait même partie des 100 plus grandes fortunes françaises.
Interview avec Christian Porta, délégué CGT de Neuhauser
Comment vivez-vous la crise du coronavirus dans ton entreprise ? Quelles formes ont pris les interventions de la CGT pour protéger les salariés ?
Comme partout, cette crise est compliquée. De plus, nous sommes situés dans le Grand Est, une région très touchée par le virus. C’est à partir du 17 mars qu’on a vraiment pris conscience de la gravité de la pandémie, surtout parce que ce jour-là on a appris qu’un de nos collègues de travail avait été touché par le virus.
Nous avons tout de suite réclamé l’arrêt de la production et la fermeture de l’usine pendant 15 jours pour que les collègues puissent être en confinement afin de ne pas prendre de risques et éviter la propagation du virus. Les hôpitaux, à ce moment-là, étaient déjà surchargés. Bien entendu la direction a refusé, nous avons alors déposé un droit d’alerte et appelé les salariés à user du droit de retrait de manière collective.
Les salariés de production ont alors appliqué ce droit de retrait de manière massive afin de garantir la protection de leur santé. Ainsi, c’est bien la quasi-totalité des salariés de la production qui a exercé le droit de retrait, sur certaines équipes on a même atteint les 100% des salariés qui refusaient de reprendre le travail tant que la sécurité n’était pas garantie.
Notre rôle, en tant que syndicat CGT, a surtout été d’informer, accompagner et conseiller les salariés dans leurs luttes, car le patron n’a pas hésité à menacer les salariés de sanction et de retenue sur le salaire. Avec l’application massive du droit de retrait, nous avons réussi à forcer l’arrêt de l’usine pendant une semaine. Sans oublier que beaucoup de salariés se sont mis en arrêt maladie après avoir été menacés par le patron.
Grâce à cette action nous avons donc réussi à forcer le patron à mettre en œuvre des moyens pour garantir au mieux la santé des collègues et des camarades. Bien entendu, c’est loin d’être parfait mais nous continuons à mettre la pression à coup de DGI [Danger Grave Imminent] et encore ce dernier lundi soir [le 20 avril] les salariés d’un secteur qui travaillent de nuit n’ont pas hésité à débrayer car le patron demandait de travailler dans des conditions dégradées qui ne garantissaient pas le mètre de distance entre salariés sur la ligne de production.
Quelles sont pour toi les principales leçons de la crise que nous vivons actuellement ?
La principale leçon consiste en la démonstration que les capitalistes sont prêts à tout pour garantir leurs profits. Ils n’hésitent pas à mentir et à mettre nos vies en danger ! Sans parler que tout le monde peut voir que ni les patrons ni le gouvernement ne sont capables de gérer une crise telle que cette pandémie. Ils pensent d’abord à l’économie avant de penser à notre santé. Sans parler de toutes ces fermetures de lit et d’hôpitaux ou de la gestion désastreuse vis-à-vis des masques….
Quelles pourraient être, selon toi, les propositions de la CGT, notamment dans l’agroalimentaire, pour améliorer immédiatement les conditions de vie et nourrir le peuple ?
Je pense que nous devons revendiquer le contrôle ouvrier de la production, que c’est à nous de pouvoir décider si oui ou non notre activité est essentielle et de décider si oui ou non les mesures de sécurité sont garanties.
Nous devons aussi pouvoir gérer les stocks. Dans notre boîte par exemple, nous produisons essentiellement du pain et de la viennoiserie précuits/surgelés. Notre patron n’a pas hésité à nous faire travailler à pleine cadence pour remplir les chambres froides. Or, comme les commandes ont baissé, car nous livrons essentiellement les grande surface type Lidl ou Carrefour, et que les gens achètent moins de pain en grande surface en ce moment, le patron nous a placé en chômage partiel, sans maintien de salaire bien sûr !
En clair, nous avons nos chambres froides remplies à ras-bord de milliers de tonnes de denrées alimentaires, de millions de produit stockés, alors qu’on voit de plus en plus de personnes qui rencontrent des difficultés pour se nourrir… Et ce, notamment dans les quartiers populaires qui, en plus de subir des violences policières, subissent de plein fouet les augmentations de prix, la baisse de salaire à cause du chômage partiel etc… alors que nous, pendant ce temps, on nous fait stocker du pain, des croissants, etc… C’est criminel.
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Vis-à-vis de cette situation scandaleuse, c’est là où le contrôle ouvrier prend tout son sens car on pourrait redistribuer les stocks et les produits à toutes ces personnes qui galèrent !
Et, il faut bien avoir conscience que le cas de notre entreprise n’est pas un cas isolé. On voit le même phénomène dans plusieurs boites de l’agroalimentaire. Certains vont jusqu’à jeter et détruire leurs produits pour ne pas perdre leurs marges de profit ! Il faut mettre un terme à tout ça, et c’est là que la CGT, à mon sens, a son rôle à jouer.
Nous sommes effectivement en guerre… mais en guerre de classes. Et nous devons la mener car cette crise est loin d’être finie et la reprise sera pire, tant au niveau sanitaire qu’au niveau des attaques sociales qui se multiplient contre le Code du travail et contre nos conquêtes sociales.