Au moins 200 personnes en grève, dont de très nombreux cheminots, ont mené dans la matinée du mardi 7 janvier une action coup de poing au siège parisien du puissant géant financier américain BlackRock. Empêtré, le pouvoir fait tout pour étouffer le débat autour de l’influence des grands groupes capitalistes sur le gouvernement.
Si l’influence et l’ingérence des grands groupes économiques sur le pouvoir politique n’est pas chose nouvelle, la conjoncture actuelle rend possible et nécessaire la dénonciation des liens d’interdépendances (logiques dans le régime capitaliste) et de mécanismes de corruptions « ordinaires » entre les pouvoirs politiques et les maitres de l’économie et de la finance.
Retour sur la polémique « BlackRock »
« Inutile et idiote » : c’est par ces termes que le Medef a qualifié la polémique autour du rôle de la société américaine BlackRock dans la réforme des retraites. De quoi alimenter en retour la légitime défiance, méfiance et hostilité de la classe ouvrière envers ce géant de la finance dont les liens avec le gouvernement ne sont plus à prouver.
La nomination de Jean-François Cirelli, patron de sa branche française du géant américain BlackRock au rang d’officier de la Légion d’honneur le 1er janvier a récemment relancé le débat autour de l’influence de ce puissant groupe financier sur les affaires politiques.
Pour de nombreux Français, cette nomination est en effet un nouveau signe de la corruption du pouvoir au moment où l’implication de BlackRock est évoquée dans l’élaboration de la réforme des retraites. Rappelons au passage que Jean-François Cirelli a piloté la privatisation de Gaz de France lorsqu’il en était le président-directeur général.
Le quotidien L’Humanité a publié le 11 décembre un document interne d’une quinzaine de pages attribué à BlackRock, détaillant l’intérêt de développer l’épargne-retraite par capitalisation en France. Enfin, la diffusion d’un article du Canard Enchaîné paru fin 2017, racontant la réception fastueuse du patron de BlackRock à l’Elysée a également contribué à placer le groupe sous le feu des projecteurs.
Blackrock, un véritable titan de la finance
BlackRock n’est pas un fonds de pension, mais un gérant d’actifs pour le compte de ses clients, parmi lesquels on trouve des fonds de pension. Avec un chiffre d’affaires supérieur à 12 milliards de dollars, la société BlackRock gère à elle seule plus de 7 000 milliards de dollars, soit près de deux fois et demie le PIB de la France. Sur ces 7 000 milliards, les trois quarts sont issus de la collecte de retraite.
Depuis sa création en 1988, le groupe BlackRock a connu une croissance exponentielle grâce au développement de la mondialisation financière, de l’augmentation de l’épargne mondiale et de la généralisation des retraites par capitalisation dans les pays anglo-saxons. En 2018, BlackRock a réalisé un bénéfice de 4,3 milliards de dollars pour un chiffre d’affaires de 14,2 milliards de dollars, des chiffres en évolution par rapport aux années précédentes.
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Aujourd’hui, BlackRock possède une part de 40 % des entreprises américaines les plus importantes et vote dans 17 000 conseils d’administration. Dans le domaine de la chimie, le fonds dispose de blocs d’actions non négligeables chez Bayer, BASF, DuPont, Monsanto, Linde, ainsi que chez Arkema et Air Liquide.
Propriétaire d’environ 5 % de BNP Paribas, d’Axa, de Renault, de Bouygues, de Total, de Vivendi, de la Société générale… BlackRock ne cache pas son souhait d’accroître sa présence en France. Selon des données d’Euronext, le géant financier représentait déjà le cinquième actionnaire du CAC40 en 2017.
Les recommandations de Blackrock, acteur discret mais actif auprès du gouvernement
Dans le document publié en juin 2019 et intitulé « La loi Pacte : le bon plan retraite », c’est bien le patron de la branche française de BlackRock qui intervient directement dans le débat politique en présentant des recommandations sur les mesures qui « qui contribueront à une réforme réussie ».
Pour BlackRock, la réforme des retraites permet de rendre l’« épargne retraite plus attractive ». Et la société de suggérer aux autorités françaises de s’inscrire dans le cadre de la nouvelle réglementation du plan Juncker et de son produit paneuropéen d’épargne retraite individuelle (PEPP).
Dans ce document, l’entreprise détaille en réalité un véritable plan de bataille pour imposer le nouveau modèle des retraites aux Français : pour l’entreprise américaine, il faudrait ainsi, dans un premier temps, améliorer l’accès à la retraite par capitalisation, « par voie de décrets d’application et d’ordonnances ».
Puis, l’entreprise suggère de rendre automatique l’adhésion à un plan d’épargne retraite. Enfin, « la mise en place un organisme indépendant apte à évaluer le coût et l’efficacité [de la réforme] dans la durée, mais aussi à en garantir la pérennité » permettrait de s’assurer que « l’alternance » politique ne puisse jamais (même hypothétiquement) remettre en cause ce nouveau système,
L’épargne des Français suscite la convoitise
L’entreprise s’est notamment félicitée du vote de la loi Pacte, qui institue des incitations fiscales pour privilégier l’épargne-retraite, espérant que les Français s’intéresseront à davantage à ses produits financiers.
Or, comme nous l’avons vu, la réforme des retraites s’inscrit dans les pas de la loi Pacte, dite pour la croissance et la transformation des entreprises. Les Français ont accumulé plus de 13 000 milliards d’euros d’épargne, une véritable manne que le gouvernement a déclaré vouloir « réorienter vers l’économie réelle », c’est-à-dire vers la finance.
Le projet de réforme des retraites ouvre la voie aux assurances privées et à la capitalisation. Si le projet passe, notre système de retraites s’alignera sur le modèle américain ou le modèle allemand. Dans ces systèmes, les pensions versées sont à peine supérieures aux minima sociaux, rendant quasi obligatoire, pour ceux qui en ont encore les moyens, de recourir à une assurance complémentaire privée.
Ainsi, malgré les démentis officiels de BlackRock et les articles-intox parus dans la presse patronale pour noyer le poisson, la société s’intéresse bien à l’épargne des Français et suit avec grand intérêt le dossier des retraites, prolongeant et amplifiant la mainmise des grands groupes économiques sur le politique et nos vies quotidiennes.