Bas les masques : ce que révèle le scandale des stocks cachés par la grande distribution

Ils pensaient faire le buzz, ils ont déclenché une polémique : les dirigeants des chaînes de la grande distribution ont multiplié les annonces ces derniers jours : 255 millions de masques chez Carrefour (inclus les masques en tissu), 170 millions chez Leclerc, 100 millions chez Intermarché, 70 millions chez Système U, etc. Gavés de subventions publiques bien avant la crise sanitaire, ces grands groupes entendent spéculer sur la peur et les besoins fondamentaux de la population.

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Alors que le gouvernement s’obstine à ne vouloir, ni réquisitionner les stocks déjà disponibles, ni imposer la gratuité des masques, la polémique enfle sur ces « stocks cachés » par les géants de la grande distribution.  Si les Leclerc, Auchan, Carrefour et cie, et le gouvernement, jouent sur les mots, mentent et tentent de noyer le poisson, la vérité éclatera tôt ou tard.

Les Ordres des Professions de santé montent au front

Peu suspect de « gauchisme », les Ordres des professions de santé se sont ainsi offusqués dans un communiqué commun au ton cinglant, envoyé le 30 avril, du nombre « sidérant » de masques annoncés à la vente par la grande distribution.

« Toute guerre a ses profiteurs. C’est malheureusement une loi intangible de nos conflits. Comment s’expliquer que nos soignants n’aient pas pu être dotés de masques quand on annonce à grand renfort de communication tapageuse des chiffres sidérants de masques vendus au public par certains circuits de distribution », se sont indignés les professionnels dans ce texte signé par sept ordres professionnels (pharmaciens, médecins libéraux, chirurgiens-dentistes, sages-femmes, kinésithérapeutes, infirmiers et podologues).

« La consternation s’allie au dégoût […] Comment nos patients, notamment les plus fragiles, à qui l’on expliquait jusqu’à hier qu’ils ne pourraient bénéficier d’une protection adaptée, vont-ils comprendre que ce qui n’existait pas hier tombe à profusion aujourd’hui. 100 millions par ici, 50 millions par là. Qui dit mieux ? C’est la surenchère de l’indécence », ont dénoncé les professionnels de santé, concluant : « L’heure viendra, nous l’espérons, de rendre des comptes. »

Panique dans la classe politique face à la polémique

Les politiciens sentent parfois le vent tourner. Pour sauver sa propre peau, Renaud Muselier, président Les Républicains de la région PACA n’a pas hésité à lui aussi entrer dans la danse : « Je veux les bons de commande, les bons de livraison, les dates des billets d’avion pour les cargaisons de masques », a-t-il ainsi déclaré sur Europe 1. « La grande distribution ne veut pas les fournir. Puisque la secrétaire d’État n’a rien à cacher, il suffit qu’elle présente les bons de dédouanement, on sera bien fixés sur les quantités et les jours », a ajouté Renaud Muselier.

« Clairement, j’ai mis 15 millions de masques sur la région PACA, soit trois masques par habitant. Nous avons mis beaucoup de temps et de difficultés pour les avoir. C’est impossible d’avoir commandé des masques le 24 avril pour les livrer le 4 mai. C’est impossible », a-t-il assuré. « Je veux savoir comment ils sont arrivés » dans les stocks de la grande distribution, exige-t-il.

Si Renaud Muselier joue sa propre partition, il est intéressant et révélateur de noter que les grands groupes n’ont toujours pas rendu publics les bons de commandes et les bons de livraisons. Si ces géants de la grande distribution – qui ont vu leurs marges financières exploser depuis le début de la pandémie – n’ont rien à cacher, alors pourquoi attendre de révéler ces documents qui ne sont pas classés secret défense ?

L’Etat, les masques et les grandes surfaces

Il est évident que des révélations auront lieu dans les jours et les semaines à venir. En attendant, la question demeure quant au rôle de l’Etat et de nos gouvernants dans la confusion générale et la désorganisation des services publics. Comment imaginer une seconde que les entreprises réussiraient là où l’Etat a lamentablement échoué ? Comment expliquer d’un côté l’alimentation volontaire d’une psychose maximale et de l’autre les mensonges à répétition et l’absence totale de politique volontariste de production, commande, distribution de masques, de tests, de médicaments, de matériel sanitaire ?

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Le gouvernement a ainsi d’abord affirmé pendant des semaines que les masques ne servaient à rien. Aujourd’hui, il les rend obligatoires dans les entreprises, dans les écoles, dans les transports en commun, voire dans les commerces.

Le gouvernement prétend également aujourd’hui qu’il était impossible de prévoir le besoin en masques.  Or, comme le révélait le Canard Enchainé le 25 mars, l’existence d’un « plan de lutte contre une pandémie grippale » depuis 2004 a déjà cassé cet énième mensonge.

Selon le Canard Enchainé, ce plan, mis en place après l’épidémie de grippe aviaire en 2004 et actualisé en 2005, 2007, 2009, 2011 a été mis en placard à partir de 2011, recommandait notamment la « préparation de stocks de masques (santé, tous ministères, entreprises) »…

De plus, l’exemple d’une usine bretonne, chargée de produire des dizaines de millions de masques FFP2 et fermée en 2018 démontre qu’il était possible d’anticiper et prévenir le risque d’une pénurie. Les politiques de casse de l’industrie et de délocalisation d’activités stratégiques (masques, respirateurs, bouteilles d’oxygène, médicaments, etc…) ont été conduites par les entreprises avec l’aval, sinon le soutien, des gouvernements successifs de droite et de gauche.

Concernant la distribution de masques pour le grand public, le gouvernement a délégué cette mission de service public à trois principaux réseaux de distribution : les pharmacies, les bureaux de tabac et les supermarchés. Les petits commerces pourront en vendre. Les collectivités, mairies, départements et régions feront l’appoint, surtout pour les populations démunies. Comment comprendre l’absence assumée et totale d’organisation étatique, pourtant réalisable, à l’échelle du territoire ?

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Outre l’auto-paralysie de l’administration, l’hypothèse (bien réelle) d’une connivence criminelle entre les entreprises et les autorités pourrait également voir le jour. En tout état de cause, l’approvisionnement massif en masques des grandes surfaces pose la question de l’action de l’Etat face à la pénurie dramatique de matériel médical.

La CGT Commerce exige la gratuité des masques

Si le gouvernement a indiqué mettre en place un plafond tarifaire à 0,95 centimes le masque chirurgical au lieu d’annoncer la réquisition immédiate des stocks, de son côté, la Fédération CGT Commerce et Service a publié le 4 mai un communiqué exigeant la gratuité des masques.

« Faut-il rappeler la hausse des marges bénéficiaires de ces enseignes depuis le début de cette crise sanitaire qui frappe notre pays, ainsi qu’une augmentation des prix sur certains produits alimentaires de première nécessité ? », a souligné la CGT, estimant que le prix individuel du masque pouvait dissuader « les plus précaires alors que ces masques ont une durée de protection très limitée. »

« Notre Fédération CGT Commerce et Services réclame, plus que jamais, la création d’un Pôle public du Commerce qui permettrait, entre autres, la régularisation des prix, la juste rémunération des producteurs du secteur agro-alimentaire […] ainsi qu’une politique salariale digne de ce nom », a par ailleurs déclaré la CGT, réclamant également le non-versement des dividendes aux actionnaires des monopoles capitalistes de la grande distribution.

Le « jour d’après » c’est maintenant : 4 suggestions pour une protection sanitaire maximale du peuple 

– Saisir tous les stocks de masques de toutes les entreprises sans aucune compensation financière, et les distribuer gratuitement à la population

– Imposer de nouvelles commandes publiques de masques

– Reconquérir notre indépendance thérapeutique et industrielle : relocalisation de l’industrie et contrôle ouvrier sur la production, le transport, la logistique et la distribution

– Punir les spéculateurs qui profitent de la crise pour s’enrichir

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