Retraites, mobilisations des 14 et 31 mars : entretien avec le responsable de la CGT Energie Paris

Nous avons posé 5 questions au responsable de la CGT Energie Paris, Cédric Liechti. Nous l’avons notamment interrogé sur les bilans et perspectives du mouvement social, sur ce que révèle la posture du gouvernement, sur la participation à la mobilisation du samedi 14 mars avec les Gilets jaunes ainsi que sur la construction de la grève générale du 31 mars.

Quels premiers bilans de ce mouvement social contre la réforme des retraites ?

Le constat est clair, le mouvement social en France a pris une ampleur inédite avec le projet de contre-réforme de la retraite par points. Ce mouvement s’est articulé autour d’une grève très importante dans plusieurs secteurs clés, notamment à la RATP, à la SNCF, dans l’énergie, dans les raffineries.

C’est un mouvement social inédit et qui fait suite à la mobilisation des gilets jaunes qui se poursuit depuis plus d’un an. La durée du mouvement contre la réforme est aussi à souligner, tout comme l’obstination du gouvernement qui ne cède rien malgré l’importance du mouvement social.

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Aujourd’hui, on est dans une phase inconnue, pour nous et pour le camp d’en face. Malgré les refus du gouvernement de retirer son projet, malgré la reprise du travail dans les secteurs les plus mobilisés en décembre et janvier, on constate une permanence du mouvement social. Ce qui est très positif. Par exemple, on a participé en tant que syndicat CGT aux manifestations du 5 mars [mobilisation des chercheurs] et du 8 mars avec la très grosse marche de 60 000 personnes à Paris. Tout cela indique que le gouvernement n’en a pas fini avec la mobilisation.

Ce contexte, inédit, est à prendre compte pour percevoir l’importance des mobilisations des 14 et 31 mars prochains, deux dates que nous lions l’une à l’autre d’un point de vue revendicatif.

Comment analyser la posture du gouvernement face au mouvement social ?

Nous devons être conscient de la chose suivante : on a en face de nous des gens qui ne sont pas des politiciens professionnels qui doivent penser à leurs réélections. On a des chefs d’entreprise et des DRH à la tête du gouvernement et de l’Etat. Ces gens sont idéologiquement sur la même longueur d’onde que les gouvernements précédents, mais les méthodes ont évolué.

Ces gouvernants se comportent de la même manière que s’ils étaient à la tête d’une entreprise privée, avec un sentiment de toute puissance et la mainmise sur tous les moyens coercitifs et répressifs.

En réalité, on retrouve dans la manière dont ils gèrent le pays la même violence du Capital qui s’exerce dans l’entreprise par le lien de subordination. On rappelle quand même que Pénicaud était DRH chez Danone, Buzyn vient du privé, idem pour Belloubet, Macron vient des banques… Ils gèrent l’Etat comme ils administreraient une entreprise du CAC 40. L’idéologie ne change pas, mais les méthodes évoluent.

Un constat positif : le gouvernement échoue rapidement et lamentablement à chaque fois qu’il essaie de détourner le peuple de la lutte et des vrais problèmes. Par exemple, malgré l’énorme battage médiatique autour du coronovarius, un sondage démontre que plus de 55% des Français ne se déclarent plus inquiets par l’épidémie.

Quels constats tirés de la grève de décembre et janvier ? Le mouvement social a-t-il néanmoins permis de mettre en avant la grève et la nécessité de l’organisation syndicale ?

Concernant la grève de décembre et janvier, beaucoup de travailleurs ont pensé que la grève par procuration suffirait à faire reculer le gouvernement. Or le constat, c’est justement que cela n’a pas fonctionné. La grève reconductible dans l’énergie a eu lieu, mais de manière minoritaire. Toutefois, la masse des électriciens et gaziers est convaincu de la nocivité, non seulement de la contre-réforme des retraites, mais également du système capitaliste, ce qui là encore est inédit et très positif pour la suite.

La grève, et la CGT, ont été remis au centre du jeu lors de ce mouvement. Il faut quand même se rappeler qu’au début de la lutte des gilets jaunes, la CGT – pas les bases, mais l’image médiatique de la CGT au travers des positions de Martinez et de la confédération – était malheureusement perçu par beaucoup de personnes comme un allié objectif du capital, en somme, un syndicat comme un autre.

Dans cette phase de luttes, grâce à la mobilisation des bases CGT, le logo et l’identité CGT ont très vite été redorés, associés à la lutte, à la grève et à l’opposition frontale avec le Capital. Et ce, malgré les atermoiements de la direction confédérale et la lamentable déclaration de l’intersyndicale sur le coronavirus.

Le positionnement de la confédération à vouloir maintenir une intersyndicale qui appelle au 31 mars, sans positionnement clair et sans organisation de la lutte, notamment par rapport au 49.3, est un choix délibéré de réformisme et d’accompagnement de la gestion du capital. C’est une grave erreur.

Contrairement aux mois de décembre et de janvier, le fait qu’il n’y ait pas une expression de classe et de masse, à l’échelle de la confédération CGT est un vrai handicap pour une montée plus rapide de la mobilisation dans le pays. Le manque d’analyse, de perspectives et de réponse organisée après le 49.3 est un vrai problème. Face à cela, la recherche de perspectives de lutte explique d’ailleurs l’implication de structures CGT dans la mobilisation du samedi 14 mars.

Pourquoi appelez-vous à participer à la mobilisation du samedi 14 mars à Paris ?  

Nous appelons à manifester le samedi 14 mars pour une raison simple : le mouvement des gilets jaunes est un mouvement de masse et de classe. A ce titre, une organisation comme la CGT, qui a dans ses statuts la transformation de la société par la lutte de classe et de masse, ne peut pas se priver d’impulser et de participer le plus massivement possible à un mouvement populaire d’ampleur de la classe sociale la plus exposée aux attaques du pouvoir économique et politique.

La mobilisation du samedi 14 mars répond à la volonté de plusieurs bases CGT, qu’elles soient fédérales, professionnelles, Unions locales, Unions Départementales. La mobilisation en décembre et janvier de secteurs clés n’a pas suffi à faire reculer le gouvernement. Nous considérons qu’une manifestation nationale, avec tout le monde au même endroit et au même moment, est une piste à explorer pour construire et élever le rapport de force.

Il s’agit là d’une aspiration commune à de nombreuses organisations CGT, ainsi qu’à beaucoup de syndiqués et de sympathisants. La date du 14 mars répond à cette volonté puisque l’enjeu est de faire converger des forces à Paris et bloquer la capitale.

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Comment construire la grève générale du 31 mars ?

En ce qui nous concerne, nous avons eu une réunion la semaine dernière au niveau de la région Mines-Energie avec plusieurs Secrétaires généraux pour coordonner l’adresse au personnel. L’objectif est de préparer un 31 mars massif et qui puisse servir de tremplin pour les jours qui suivront.

Nous essayons également de montrer la pertinence de nous organiser pour faire 3 ou 4 journées noires durant lesquelles les électriciens et les gaziers, aux mêmes endroits, au même moment et tous ensemble, bloquent tout par la grève et mettent à l’arrêt la production économique de l’énergie

Pour finir, ce mouvement social – ainsi que la mobilisation des gilets jaunes – a généré un grand bond idéologique. Grace aux mouvements de grève, on a assisté à une accélération et à une élévation du niveau de la conscience de classe dans notre camp social, et dans un laps de temps très court.

Nous pensons que cette donnée va resurgir très vite, et de manière exponentielle. Et cet élément représente un espoir formidable du point de vue de notre camp pour les mois et les années à venir.

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