La peur ne doit pas nous faire perdre la raison : réflexion sur le confinement

Plus la période de confinement se prolonge et plus des questionnements émergent.

La bourgeoisie a réussi un coup de maître en maintenant la plupart des industries à flot (aujourd’hui les usines de la chimie tournent pour 80% d’entre elles !) tout en confinant les partis politiques, les syndicats, les associations, etc. Traversant une crise historique du capital, conduisant la bourgeoisie à prendre des mesures d’austérité extraordinaires qui vont tuer à 100% le compromis établi en 1945, voire même aller plus loin (ce qui est déjà en cours d’ailleurs : remise en cause des 35h, suppression possible des congés, possible abolition d’un salaire minimum, etc.), cette crise du capital sera très probablement couplée à une hausse hallucinante du chômage. Il est très important de noter que cette crise n’est pas due au Covid19 : les conséquences de cette épidémie ne sont que le catalyseur, l’accélérateur d’une crise qui aurait dans tous les cas vu le jour.

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C’est dans ce contexte qu’est prise la décision du confinement et il est important de mettre en perspective le fait que le confinement ne concerne pas l’écrasante majorité du personnel productif. En tant que militant politique ou syndical, les conséquences les plus importantes pour nous sont : interdiction de réunions, interdiction de manifestations, interdiction de rassemblements, la grève elle-même devient répréhensible moralement. Voici les conséquences de ce confinement et c’est pendant ce même confinement que le gouvernement met et mettra encore en place dans les semaines à venir des décrets venant pulvériser nos conquis sociaux. Et, il faudrait en plus que nous attendions le « jour d’après » pour reprendre la lutte ?

C’est le gouvernement bourgeois qui a décidé ce confinement et il s’est imposé à nous tous comme une vérité divine, sans autre alternative possible. L’ensemble des organisations progressistes, de gauche, d’opposition, les syndicats de lutte de classes, sont entrés dans ce carcan. Personne ne l’a remis en cause ! Nous avons tous accepté les conditions du confinement qui pourtant équivalent à la destruction TOTALE de tous nos droits politiques et démocratiques les plus élémentaires. De cette façon, nous avons accordé sans en avoir forcément conscience, notre entière confiance dans la capacité de nos dirigeants à gérer cette crise. Sincèrement, Hitler ou Mussolini auraient rêvé d’une telle situation !

Nous avons de nous-mêmes, rompu nos organisations, nos liens, passant toute notre communication via les outils contrôlés par cette même bourgeoisie.

Tout cela est possible car nous avons, jusqu’alors, motivé toutes nos réflexions par le prisme de l’émotion et de la peur. Bien sûr, cela est justifié et légitime. Il ne s’agit pas de renier le caractère létal de l’épidémie ni sa dangerosité. Mais, n’oublions pas tout de même que le facteur qui tue le plus dans cette crise, c’est l’incapacité des hôpitaux, qui ont subi tant d’attaques, à pouvoir soigner tout le monde, voire même à accueillir tous les malades !

Aujourd’hui comme de tout temps, la bourgeoisie cherche à fédérer l’ensemble de la population derrière un ennemi commun. Elle est obligée de créer artificiellement un épouvantail puisque son système en tant que tel est un système asservissant. Hier, elle brandissait la menace terroriste, exhortant à l’unité nationale contre la « barbarie islamiste », justifiant ainsi de soutenir le gouvernement dans sa lutte et acceptant ainsi les pires lois liberticides (pérennisation de l’état d’urgence dans la constitution, assignation de militants progressistes à leur domicile, etc.). Aujourd’hui elle cherche une nouvelle fois à nous unir derrière la banderole de la classe dominante contre le covid19, en en faisant une quête de la nation derrière laquelle se ranger. Dès lors, on peut tout critiquer, sauf bien évidemment ce confinement comme il est conçu aujourd’hui (comme nous l’avons dit confinement uniquement de nos libertés démocratiques) ! C’est la classe dominante qui nous permet aujourd’hui de pouvoir tout critiquer sauf, bien sûr, cette question du confinement, celle-là étant le bien-fondé même pour lutter contre le nouvel ennemi commun : le covid19 …

Alors, tous les débats ne passent que par le prisme de ce confinement, milles critiques sont faites sur sa date de commencement, sur sa gestion, etc. Mais aucune voix ne vient le remettre en cause, même celles des organisations les plus revendicatives, les plus progressistes… Ce même confinement vient confiner nos droits politiques sans arrêter totalement la vie économique et la production de ce pays !

L’émotion de la mort conduit immédiatement à scléroser tout autre réflexion : les larmes sont toujours plus convaincantes que les arguments politiques.

Et si, quand bien même quelques-uns tentaient de briser l’isolement imposé par le confinement, le pouvoir n’a pas oublié de dresser un arsenal répressif sans précédent : amendes, peines de prisons, arrestations musclées, présence policière et même militaire omniprésente !

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La peur et l’émotion ne doivent pourtant pas guider nos raisonnements, et il est plus important que jamais aujourd’hui de reprendre le manche de l’analyse politique ainsi et surtout que la lutte. Celle-ci est plus que jamais indispensable dans ce contexte.

Le confinement en lui-même peut-être d’une mortalité bien plus importante que le covid-19 dans des pays comme le Bangladesh ou l’Inde pour n’en citer que quelques-uns. D’ailleurs, pour donner un autre relief à ce confinement (c’est la première fois dans l’Histoire qu’un confinement aussi important se produit pour des populations saines), beaucoup des pays dominés font face annuellement à des épidémies plus mortelles type choléra ou autres et ils n’ont pas interrompu leurs luttes. La crise qui se profile sera, il est certain, la plus grave crise depuis presque un siècle ! Les dégâts économiques qu’elle va engendrer seront monstrueux et celle-ci entraine déjà la mort par la misère. Il faut dès aujourd’hui s’y préparer et ouvrir de nouvelles perspectives sans se laisser paralyser par ce confinement.

Rappelons-nous que notre ennemi principal reste le capitalisme et non l’épidémie et nous ne devons pas tomber dans le piège qui nous est tendu : à savoir faire front au-delà des classes contre le Covid19. Ce sont justement les sirènes du gouvernement qui poussent à cette unité et qui nous retranchent dans un confinement qui rime avec l’inaction politique totale.

C’est dans ce contexte que nous nous conduisons, par exemple, vers un 1er mai sans rassemblement, sans défilé, ce qui n’est pas arrivé en France depuis plus d’un demi-siècle. Pour arriver à cette situation, digne de la plus répressive des dictatures, Macron n’a eu besoin que d’agiter la peur générale derrière laquelle nous nous retranchons en nous calfeutrant volontairement dans nos domiciles, laissant comme seul moyen d’expression le plus large notre balcon (pour ceux qui en ont un) …

Camarades, plus que jamais nous devons refuser d’être soumis au calendrier imposé par la bourgeoisie. Elle nous a dit « les écoles réouvriront le 11 mai » et en même temps elle annonce l’interdiction des rassemblements. Le confinement des évènements collectifs, dont font parties nos rassemblements et dont dépendent une large partie de nos luttes, va perdurer. Quelle doit être notre réponse ? Accepter ? Dire que l’on va attendre le feu vert d’un gouvernement bourgeois pour reprendre la bagarre ? Alors qu’aujourd’hui même, pendant la crise sanitaire, il prend des mesures réactionnaires encore jamais vues ?

Notre classe ne peut exister politiquement que si elle prend ses décisions de manière indépendante. Aujourd’hui, cela nous impose donc de reprendre le chemin de la lutte et, pourquoi pas, de mener le 1er mai prochain des rassemblements dans toute la France ?

Et si nous définissions des points de rassemblement à moins d’un kilomètre de chez soi (ce qui peut être vrai surtout pour les urbains) en se donnant rendez-vous pendant une heure en déployant banderoles et pancartes revendicatives et en en faisant une grosse publicité via nos réseaux ?

Alors, bien évidemment, un tel discours vient bouleverser les réflexes qui nous ont été imposés face à la pandémie : se protéger face à un virus qui tue. C’est d’ailleurs tout le problème qui vient faire naître un rempart d’émotion là où la réflexion politique devrait prévaloir. À tout argumentaire venant contredire ce confinement politique nous sera opposé systématiquement le drame que provoque cette crise sanitaire paralysant toute avancée dans le sens d’une mobilisation sociale. Ce drame n’est d’ailleurs que la conséquence du capitalisme qui, rappelons-le, a détruit notre système de soins et démoli la recherche fondamentale contre ce genre de virus.

Nous rappelions récemment un fait de l’Histoire : une grève quasi-générale en Suisse en pleine pandémie de grippe espagnole en 1918.  La bourgeoisie a alors tout de suite dénoncé ce mouvement comme propageant le virus, culpabilisant ainsi les grévistes. Celle-ci a d’ailleurs mobilisé l’armée pour réprimer fortement cette grève, justifiant son intervention par la grippe espagnole… À l’aune de cet exemple, devons-nous pour autant dire que les travailleurs et travailleuses ont eu tort de se mettre en grève ? La question principale se place-t-elle sous l’angle de leur responsabilité dans une contagion plus ou moins importante du virus ? La question principale ne devrait-elle pas être qu’en toute période, la mobilisation, l’agitation et la propagande doivent-être pour nous des objectifs premiers ?

La question du risque a toujours été présente dans le mouvement ouvrier et plus particulièrement dans le mouvement révolutionnaire. Effectivement, aujourd’hui il y a un danger de mort face à cette maladie, et un danger de répression si l’on brave le confinement.  Mais, dans des perspectives certes très différentes, lorsque les Russes ont largement mené la lutte en 1905, combien ont péri sous les coups de l’Okhrana (police barbare du tsarisme) en connaissant le risque encouru ? Combien ont péri dans la lutte contre le fascisme allemand ? Le tsarisme russe ou le fascisme allemand n’ont-ils pas été plus meurtriers que le Covid19 ? Les militants russes, français ou allemands de l’époque auraient-ils dû se dire qu’il était dangereux pour leur vie et celle de leurs proches de se battre et donc qu’il valait mieux rester confiné chez soi ?

Aujourd’hui, quels enseignements la bourgeoisie peut-elle tirer de cette période ? Premièrement, une majorité écrasante de la population a, dès les premiers frissons d’inquiétude, réagi par un repli sur soi sans entraide collective. Cela démontre la non-organisation complète des masses populaires dans des structures collectives, solidaires et progressistes. Deuxièmement, la totalité du camp révolutionnaire, progressiste et même les organisations dites démocratiques a accepté le deal du confinement.

Les règles du jeu imposées par la bourgeoisie pendant la pandémie (de mettre sous cloche nos libertés politiques fondamentales) ont été acceptées par l’ensemble de notre camp sans rechigner. Pour autant, il n’est pas question de confinement réel puisque, comme nous le disions initialement, la quasi-totalité de l’appareil productif fonctionne !

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