Sous le déluge du feu israélien à Gaza, la colonisation de la Cisjordanie s’accélère
Le gouvernement français tente de faire taire la voix de la solidarité avec le peuple palestinien, exterminé jour après jour par l’armée israélienne, et se rend complice, de par le « soutien total et inconditionnel » accordé à Israël, des crimes commis contre les Palestiniens. Rappelons que les massacres, massifs à Gaza – 11 000 civils tués dont 5000 enfants – ont également lieu en Cisjordanie, territoire palestinien où le Hamas est quasiment absent. Ces derniers jours comme ces dernières décennies, l’occupant israélien déporte, emprisonne, exécute et torture, en toute impunité.
La Cisjordanie, l’autre « front » de la guerre permanente menée par Israël au peuple palestinien. Deux fois plus petite que l’Île-de-France, la Cisjordanie a été de fait annexée par l’Etat d’Israël suite à la guerre des Six-Jours de 1967 et renommée Judée-Samarie, laissant ainsi sous-entendre un droit « biblique » sur cette terre. Après les accords controversés d’Oslo, la Cisjordanie a été divisée administrativement en trois zones. La première zone, moins de 20 % du territoire (Gaza comprise) et constitué principalement des villes de Jéricho, Jénine, Qalqilya, Ramallah, Tulkarem, Naplouse, Bethléem et Hébron, est confiée à l’Autorité palestinienne bien qu’Israël conserve le contrôle de l’espace aérien et de la circulation monétaire. Une seconde zone (près de 22 % du territoire), est cogérée par Israël et l’Autorité Palestinienne, elle comprend les camps de réfugiés anciens ou récents et un vaste espace rural. Enfin, pour près des deux tiers, la dernière zone (60 % du territoire) est sous compétence totale de l’État d’Israël et comprend en particulier les colonies et Jérusalem-Est. Dans ces territoires, soumis à l’occupation israélienne, c’est le Fatah de Mahmoud Abbas qui est au pouvoir.
Plus de 700 000 colons sont implantés en Cisjordanie selon Stéphanie Latte Abdallah (historienne, politologue, anthropologue, chercheuse au CERI/Sciences-Po et au CNRS). Depuis la signature des accords d’Oslo, la population de colons a ainsi quadruplé et représente près de 20 % de la population totale en Cisjordanie. Et comme le déclarait Israël le 12 février dernier, lors d’une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU, le pays est déterminé à poursuivre la construction et l’expansion de ses colonies comme le prévoit d’ailleurs la création de neuf nouvelles colonies représentant plus 7 000 nouveaux logements pour les colons. La politique menée par certains courants politiques israéliens, au pouvoir, est évidente, il s’agit de renforcer encore et toujours la « forteresse Israël », voir reconstituer le « Grand Israël » en expulsant si nécessaire les Palestiniens de la Cisjordanie (et de Gaza) vers la Jordanie et l’Égypte. Orchestrées par les colons – avec le soutien actif de Tel Aviv – les déplacements forcés des populations s’accélère dans l’indifférence la plus totale voir la complicité des puissances occidentales. Si la colonisation a été continuelle, ou sous la forme de colonies installées et financées directement ou de colonies soit disant « sauvages » installées par les colons sans autorisation mais placées sous la protection de Tsahal, les deux dernières décennies n’ont fait qu’amplifier cette politique de colonisation qui rend impossible toute perspective viable d’Etat palestinien.
Les exactions commises par les colons et les militaires israéliens sur les Palestiniens – caractéristiques de crimes de guerre voir de crime contre l’humanité – sont légions. Depuis mai 2022, les autorités israéliennes ont imposé des restrictions de circulation, confisqué des biens, démoli des maisons et effectué des entraînements militaires sur le territoire des 13 communautés de Masafer Yatta situées dans le sud de la Cisjordanie et abritant près de 1 200 personnes. Au cours des trois derniers mois, les restrictions de circulation se sont encore intensifiées. Deux écoles de la région signalaient que plusieurs dizaines d’élèves avaient fait le choix d’abandonner leurs études. Lors d’un incident survenu en septembre, les forces d’occupation ont arrêté des enseignants qui se rendaient à leur travail et ont menacé de saisir leur véhicule s’ils l’utilisaient à nouveau.
Le lundi 2 octobre, quelques jours seulement avant l’assaut du 7 octobre, les forces israéliennes ouvraient le feu, tirant des balles réelles et des gaz lacrymogènes, dans une école de Cisjordanie lors d’un raid. Les cours ont par conséquent été suspendus dans le village de Burqa, au nord-ouest de la ville de Naplouse, en Cisjordanie occupée, blessant gravement un enfant et plus légèrement des dizaines de personne. Le raid sur l’école avait eu lieu le même jour que le raid des forces israéliennes sur certaines parties de la vieille ville de Jérusalem. Coïncidant avec la fête juive de Soukkot, au cours de laquelle la sécurité est renforcée pour permettre aux fidèles juifs d’accomplir leurs rites dans la vieille ville, plusieurs centaines de colons israéliens avaient pris d’assaut les enseignements dispensés à la mosquée al-Aqsa dimanche et lundi. Les forces israéliennes ont imposé des restrictions à l’entrée des fidèles dans la mosquée et ont agressé les Palestiniens qui tentaient de pénétrer sur le site.
Depuis le 7 octobre la colonisation de la Cisjordanie s’amplifie. Le 12 octobre dernier, 180 paysans palestiniens du petit hameau de Wadi Al-Sik ont été chassés de leurs terres par Tsahal. Quelques jours plus tard, cette même ville a été la scène d’actes de torture commis par des colons et des soldats israéliens sur des Palestiniens. Le journal israélien Haaretz rapportait que le 21 octobre « des soldats et des colons avaient arrêté et menotté trois Palestiniens pendant des heures avant que ces derniers ne soient sévèrement battus, déshabillés et photographiés menottés, en sous-vêtements. Leurs ravisseurs ont uriné sur deux d’entre eux et éteint sur eux des cigarettes allumées ».
De plus, les Palestiniens de la vieille ville d’Hébron signalent qu’Israël profite de l’attention portée sur Gaza pour accélérer les plans d’expulsion des habitants. La ville d’Hébron est ainsi soumise à un couvre-feu par Israël depuis le 7 octobre. Les Palestiniens ne peuvent plus quitter leurs domiciles plus d’une heure tous les deux jours sous peine de se faire expulser de leurs logements. En « raison » (d’après l’occupant) du couvre-feu, les habitants de la ville n’ont également ni le droit de se tenir sur leur balcon ni de s’asseoir dans leur cour, sous peine de se faire tabasser par l’armée ou les milices extrémistes. Environ 5 000 Palestiniens vivent dans la vieille ville d’Hébron, dans des zones actuellement désignées comme « zones fermées » par l’armée israélienne.
Selon les autorités palestiniennes de Cisjordanie, Israël a arrêté plus de 1 400 personnes en Cisjordanie et plus de 110 Palestiniens ont déjà été tués depuis le 7 octobre. Derrière ces exécutions, il y l’armée mais également les milices auxquelles le gouvernement semble avoir donné toute latitude. L’ONG israélienne de défense des droits humains «Yesh Din» recense plus de «100 incidents» dans 62 villes et villages causés par des colons, qui ont attaqué des Palestiniens entre le 7 et le 22 octobre. «Les colons israéliens ont tué au moins six Palestiniens à balles réelles, chassé les communautés de bergers de leurs terres, incendié des maisons et des véhicules, déraciné des arbres et détruit des propriétés» explique l’ONG.
Après le déclenchement des hostilités, l’armée israélienne a invoqué l’ordre militaire n° 1651, qui autorise l’arrestation d’une personne pour une durée maximale de huit jours avant qu’elle ne soit présentée au tribunal. Rappelons que les Palestiniens comparaissent devant les tribunaux militaires israéliens, contrairement aux colons israéliens qui sont jugés par des tribunaux civils en Israël. Rappelons également qu’au moins 5 200 Palestiniens se trouvent dans les prisons israéliennes en Cisjordanie occupée et en Israël, dont 1 264 sont en « détention administrative » sans procès et sans pouvoir bénéficier d’une assistance juridique.
Derrière la politique israélienne en Cisjordanie comme dans la bande de Gaza se dévoile ses véritables intentions : exterminer ou déplacer le peuple Palestinien hors de Palestine. Il est temps que les organisations syndicales européennes en général, la CGT en particulier, prennent leurs responsabilités dans la lutte aux côtés du peuple Palestinien pour son droit à la liberté, à la paix et à la justice. Comme le rappelle le syndicat de classe grec PAME dans son appel à destination des syndicats d’Europe : « Soutenir la paix et la lutte pour la liberté d’un peuple opprimé n’est pas du terrorisme. Le silence et l’inaction sont un soutien aux crimes d’Israël. Le silence de la CES est assourdissant. »