L’EAU MENACÉE ET ACCAPARÉE PAR LES CAPITALISTES

L’eau menacée et accaparée par les grands groupes capitalistes

 Alors que le dérèglement climatique entraîne la multiplication des phénomènes de sécheresse, entraînant des restrictions des usages de l’eau et un risque de pénurie réel pendant l’été, la question de l’accès à l’eau devient de plus en plus prégnante. Loin d’être une fatalité, cette situation dégradée est d’abord et avant tout le fruit d’une gestion capitaliste de la ressource en eau qui vise à garantir les profits de quelques grandes entreprises.

Un état des lieux des restrictions d’eau. Rappelons d’abord que la majorité du territoire français est en état d’alerte « vigilance ». Cette situation devrait malheureusement se dégrader encore dans les semaines à venir car des départements comme la Haute-Corse, la Corse du Sud ou encore la Gironde n’en font pas encore partie, néanmoins selon Météo France, une hausse des températures dans ces territoires est à prévoir. Des départements, plus fortement touchés que d’autres, sont en état de crise. C’est le cas de l’Oise (60), où de nombreuses restrictions sont prises sur le bassin de la Brêche, le bassin de la Brele, le bassin de la Celle et Evoisson ou encore le bassin de la Divette et Ver. Les départements de l’Eure-et-Loire (28) ou du Loiret (45) sont également particulièrement frappés par la sécheresse, le niveau des leurs principaux cours d’eau : l’Eure, le Loiret, comme l’Avre, l’Aigre ou le Loing sont particulièrement bas. Les Pyrénées-Orientales (66) en crise sécheresse depuis le 14 juin, connaissent l’année la plus sèche depuis jamais enregistrée par Météo-France depuis le début de ses relevés en 1959.

Le gouvernement a mis en place une procédure de préservation  de la ressource en eau visant à limiter le pompage des eaux superficielles et souterraines. Ces mesures sont progressives selon quatre niveaux de gravité : « Vigilance », incitation des particuliers et des professionnels à économiser l’eau ; « Alerte », réduction de tous les prélèvements en eau et interdiction des activités impactant les milieux aquatiques, restrictions en matière d’arrosage, de remplissage et de vidange des piscines, de lavage de véhicules et d’irrigation de cultures ; « Alerte renforcée », réduction de tous les prélèvements en eau et interdiction des activités impactant les milieux aquatiques, restrictions renforcées en matière d’arrosage, de remplissage et de vidange des piscines, de lavage de véhicules et d’irrigation de cultures ; « Crise », ce niveau est déclenché pour préserver les usages prioritaires, interdiction des prélèvements en eau pour l’agriculture (totalement ou partiellement), pour de nombreux usages domestiques et pour les espaces publics. Toutefois ces mesures de restriction qui s’imposent aux classes populaires et les privent d’accéder à des installations collectives : piscine, complexe sportif, plan d’eau ou de pouvoir simplement arroser leur potager, ne s’imposent pas aux plus favorisés qui continuent à profiter de leur terrain de golf et à remplir leur piscine privée. Incapable d’assurer une gestion et une répartition de l’eau qui répondent aux besoins de la population, l’état capitaliste impose des restrictions de classe.

Un réseau de distribution très lucratif sous-entretenu. Le manque d’investissements financiers et humains des grandes féodalités du capitalisme financiarisé de la distribution d’eau potable, notamment Veolia et Suez, pour l’entretien du réseau se traduit par des fuites représentant jusqu’à 30 % du volume total d’eau en circulation. Des rapports successifs ont pointé du doigt le manque d’investissements pour changer les canalisations avec des déperditions d’eau très importantes selon les endroits. Ces pertes représentent la consommation annuelle d’environ 18 millions d’habitants. Si la situation actuelle de sécheresse, destinée par ailleurs à perdurer, justifierait des mesures volontaristes pour imposer une reprise en main du réseau par la puissance publique, le gouvernement préfère continuer de gaver les majors de la distribution de l’eau. 

Si les investissements dans le réseau ne sont pas à la hauteur, le prix moyen du mètre cube s’est lui envolé de 10,7 % depuis 2011 avec une disparité accrue selon les villes. Cette croissance vertigineuse du prix de l’eau s’avère bien plus rapide que l’inflation et frappe d’abord les ménages les plus populaires. C’est le cas de Roubaix dans le Nord où le prix du mètre cube augmente de 9,5 %, à Thouars dans les Deux Sèvres il augmente de 11 % et à Clermont-Ferrand dans le Puy-de-Dôme, où la facture avait déjà triplé en 2022, le prix de l’eau grimpe encore de 10 %. Dans certaines communes, la hausse s’élève à 30 %. Selon les villes la hausse est variable et peut aller du simple au quintuple.  

Le pillage des eaux souterraines. La multinationale Nestlé Waters pompe l’eau des sous-sols vosgiens pour son profit, au détriment des besoins de la population. En 1990, la firme suisse a racheté la Société des eaux de Vittel, qui commercialisait sous forme d’eau minérale les eaux de la région depuis 1875. Sous les marques Vittel, Hépar et Contrex, Nestlé Waters embouteille aujourd’hui l’eau de deux nappes phréatiques. Nestlé Waters produit 1,85 milliard de bouteilles par an sous les marques Vittel, Contrex et Hépar, pour 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires. Pour sa marque Contrex, Nestlé Waters utilise un forage, pompant en moyenne 85 000 mètres cube par an sans autorisation. Cette situation n’est pas une exception puisqu’elle concernerait au moins cinq autres forages situés à proximité de la ville. Pour sa marque Vittel Bonne Source, notamment vendue en Allemagne, le vautour de l’eau puise aussi dans une nappe plus profonde qu’elle risque d’assécher définitivement.

En 2021, la Société des eaux de Volvic, propriété du géant Danone, a réalisé près de 460 millions d’euros de chiffre d’affaires, 1,5 milliard de bouteilles ont été produites dont 70 % ont été exportées. Cette activité économique est en partie responsable de plusieurs problèmes d’accès à l’eau observés par les habitants du canton de Riom, où se situe Volvic. Les résurgences naturelles sont asséchées. Ce sont des sources qui avaient un débit extrêmement élevé mais aujourd’hui des ruisseaux n’ont plus d’eau. Des zones humides, auparavant riches en poissons et en végétation, sont en train de disparaître. Cela pose des questions au sujet de l’alimentation en eau potable pour la population. Alors que Danone incrimine le changement climatique pour se défausser de ses responsabilités, en novembre 2019, les usines de Volvic ont cessé tout pompage durant une semaine pour une opération de maintenance. Quelques semaines plus tard, le débit des résurgences de certaines sources était passé de 82 litres par seconde à 194 litres par seconde.

Ces groupes minéraliers, de Nestlé à Danone en passant par Alma pompent ainsi quasi gratuitement l’eau minérale et l’eau de source, pourtant biens publics par excellence. Les redevances payées aux communes représentent un coût extrêmement faible.

Le mode de production intensif de l’agriculture répondant aux intérêts de l’agrobusiness, entraîne un autre gaspillage pour des cultures irriguées parce qu’inadaptées au sol et au climat, l’épuisement des nappes phréatiques et leur pollution par les pesticides. La proposition de loi «pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France», soumise au vote le mardi 23 mai 2023 au Sénat, affiche de nombreux reculs environnementaux. Concernant l’eau, l’article 15, lui, propose de modifier le Code de l’environnement, en donnant automatiquement le statut d’«intérêt général majeur» aux retenues d’eau à usage agricole, comme les méga-bassines de Sainte-Solline. Via son article 17, le texte prévoit également de « faciliter » (SIC) la mise en place de tels ouvrages, en réduisant notamment les délais de contentieux relatifs à ces projets. Soit une logique de soutien à un modèle d’agriculture intensive, alors que les épisodes de sécheresse se multiplient, au profit de quelques-uns, et qui de plus est financé par de l’argent public. Les groupes agroalimentaires sont de grands consommateurs d’eau pour le nettoyage des outils de production. Certes indispensable pour garantir l’hygiène lorsque l’on traite du vivant, mais pas le gaspillage. Le recyclage de cette eau pour sa réutilisation nécessiterait des investissements qu’ils refusent par économie.

Construire une véritable maîtrise publique et démocratique de l’eau. L’eau est une ressource naturelle indispensable pour vivre, pour boire comme pour manger. Si, pour l’agriculture et l’alimentation, tout le monde reconnaît son caractère vital, il est d’autant plus important d’en assurer une gestion durable et efficace. Par conséquent, celle-ci concerne toute la société et tous les citoyens, à un titre ou un autre. La nation doit reprendre la main. On ne peut pas concevoir une autre gestion de l’eau et répondre aux enjeux posés par le réchauffement climatique si, dans le même temps, ne s’engage pas une rupture profonde du type de développement économique. Le carcan capitaliste fuit de toutes parts. Tenter d’y répondre ne peut se concevoir que par une politique cohérente et planifiée des productions en fonction des besoins populaires et des nécessités agricoles, industrielles et environnementales. La constitution d’un grand monopole public de l’eau, par la réappropriation de sa gestion directe par la collectivité, est devenue un objectif incontournable si l’on veut tourner le dos aux critères de gestion dominants.