[ANALYSE] ÉNERGIE : QUE FAIRE ?

Après avoir brandi la menace du confinement pour gérer la crise sanitaire, le gouvernement brandi la menace des coupures pour gérer la crise énergétique. Dans les deux cas, le débat de fond est évincé. Pourtant, que ce soit l’Hôpital ou le secteur énergétique, dans les deux cas, les gouvernements successifs ont méthodiquement organisé depuis 20 ans leur lente et inexorable marchandisation.

Privatisation, démantèlent et sabotage du secteur énergétique français

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, forte de la place qu’elle a tenu dans la liquidation du nazisme et de ses supplétifs, la classe ouvrière obtient la nationalisation de la production et de la distribution de l’électricité et du charbon, propriété jusqu’alors de multiples sociétés privées. Marcel Paul, ancien résistant et dirigeant de la CGT, ministre communiste de la production industrielle, organise cette nationalisation et met en place un statut garantissant aux travailleurs les moyens d’exercer leurs missions, c’est la naissance d’EDF-GDF le 8 avril 1946.

Dans les années 2000, l’ouverture à la concurrence du marché européen de l’électricité et du gaz justifie la mise en marché du service public portée par Nicolas Sarkozy alors ministre de l’économie. On se souvient de l’argumentaire déployé par le gouvernement au commencement du dépeçage d’EDF/GDF : la privatisation et l’ouverture des marchés du gaz et de l’électricité à la concurrence feront « baisser les prix » ! Vingt ans plus tard force est de constater que les prix n’ont jamais baissé, bien au contraire « entre 2009 et 2016, les prix de l’électricité augmentent plus rapidement que l’inflation » selon l’INSEE.

La mise en marché du secteur énergétique a remis en cause le modèle historique créé en 1946. Progressivement, pour l’électricité comme pour le gaz, nous basculons dans un système livré sans limite aux intérêts privés et financiers au détriment des enjeux industriels, sociaux et environnementaux. La dernière étape de ce démantèlement en règle de l’outil industriel est le projet Hercule qui entendait poursuivre le dépeçage et la vente à la découpe du Groupe EDF. Il prévoyait notamment la division des activités d’EDF en deux entités : d’un côté un « EDF bleu » regroupant la production pilotable d’électricité (nucléaire, barrages hydrauliques, transport de l’électricité, etc…), et de l’autre un « EDF vert », privatisé et introduit en Bourse à hauteur de 35% et qui aurait regroupé les activités les plus rentables, avec Enedis (distribution), EDF Renouvelables, et la direction du commerce. Si la mobilisation des travailleuses et des travailleurs des industries électriques et gazières, avec leur syndicat CGT, a permis de faire reculer le gouvernement, nul n’est dupe sur les intentions futures du gouvernement.

Alors que, sous l’effet de la hausse des prix du gaz, les prix de l’électricité sur le marché de gros s’envolent et franchissent la barre symbolique et historique de 700€/MWh en août 2022, l’État a contraint EDF à céder à ses concurrents des volumes à des prix très bas. Ce sabotage pénalise EDF et menace l’avenir de l’entreprise publique historique à la seule fin de maintenir une concurrence « quoi qu’il en coûte ». La mise en marché du secteur énergétique n’a servi que les intérêts d’une minorité de parasites qui en ont profité pour s’enrichir au détriment de la population qui subit l’augmentation des factures. Incapable de répondre aux besoins de la population en tenant compte des enjeux environnementaux, ces vautours de l’énergie – soutenu par l’État – menacent à terme l’alimentation énergétique du pays.

La montée de l’État au capital d’EDF annoncée par Élisabeth Borne à l’été 2022 ne répond ni à la crise énergétique que traverse le pays ni aux nombreuses difficultés que connaît ce secteur industriel stratégique. Il s’agit surtout de maintenir, via le bouclier tarifaire et le « chèque énergie », les subventions aux entreprises privées du secteur. Comble de ce jeu de dupe, ce sont les travailleuses et les travailleurs qui rembourseront ces cadeaux au patronat.

Face à l’avidité d’une minorité de privilégié, la CGT affirme que l’énergie n’est pas une marchandise !  La production et la distribution de l’énergie doit être organisé au sein du service public afin de garantir : l’accès au droit à l’énergie pour toutes et tous, la protection de l’environnement et la lutte contre le réchauffement climatique, la continuité de service et la sécurité d’approvisionnement sur l’ensemble du territoire.

Sortir l’énergie de l’économie de marché : faire de l’accès à l’énergie un droit

Depuis l’ouverture du secteur énergétique à la concurrence, 13 millions subissent la précarité énergétique en France. Ainsi en 2021, « 785 096 ménages ont subi une intervention d’un fournisseur d’énergie suite à des impayés, soit une augmentation de 17 % par rapport à 2019 » selon l’ONPE. Sortir du secteur marchand ces biens de première nécessité que sont l’électricité et le gaz apparaît plus que jamais comme une nécessité impérieuse.

Le tarif réglementé (TRV) doit rétablir le lien économique avec les usagers et garantir un traitement équitable pour toutes et tous sur l’ensemble du territoire. La facture d’énergie doit refléter les coûts réels pour que le consommateur soit aussi un acteur des investissements nécessaires dans l’ensemble des infrastructures des filières et dans la transition énergétique. Les TRV reflètent du mieux possible le juste coût de production, d’acheminement, et distribution/commercialisation de l’électricité et du gaz. La facturation doit englober les nécessités de service public à la réelle hauteur de ce qu’elles représentent, sans qu’elles soient considérées comme une taxe mais comme une solidarité envers les zones les plus éloignées et les citoyens les plus démunis. Pour garantir ce droit à l’énergie sans toucher à la péréquation tarifaire, il est nécessaire de passer d’un tarif aujourd’hui imposé par les acteurs du secteur à un tarif qui soit imposé aux acteurs du secteur par des coûts de fourniture et transport définis comme objectifs à atteindre.

Dans l’électricité, l’alternative au prix du marché consisterait à imaginer un tarif par empilement basé sur des coûts réels  : bâtir un coût de production réajusté chaque année en fonction des moyens de production mobilisés l’année précédente, soit un coût de mix énergétique optimisé par RTE selon l’équilibre offre/demande et les nécessités impérieuses de services et de réponses aux solidarités. Il en est de même en gaz, à la grande différence que le coût d’approvisionnement dépend de termes de contrats avec les producteurs indexés sur des prix de marchés internationaux. Dans une logique de service public, ces contrats seront à renégocier pour qu’ils bénéficient tant aux pays producteurs (la plupart des producteurs de gaz sont publics) qu’aux usagers français  : Gaz de France a fonctionné de cette manière jusqu’à l’ouverture des marchés et la création d’un marché du gaz européen.

Construire une véritable politique de lutte contre le réchauffement climatique

La préservation de l’environnement est une nécessité pour garantir un avenir à l’humanité. Les dernières analyses du GIEC montrent que les objectifs définis dans le cadre des accords de Paris pour limiter le réchauffement de la planète à 1,5°C ne seront pas atteints. Si certains s’en étonnent, l’incapacité du système capitaliste à concilier production et environnement est flagrante. C’est d’un nouveau modèle économique dont les Nations ont besoin pour lutter efficacement contre le réchauffement climatique et pour réduire drastiquement les inégalités. Celui-ci passe nécessairement par la mise en place de services publics de l’eau, de la mobilité, de l’énergie en capacité de planifier les investissements nécessaires et d’assurer coordination et cohérence dans cette lutte et pas seulement par le prisme du contrôle d’une tarification ou de la croyance dans le marché. Il y a donc nécessité et urgence à sortir des dogmes de la concurrence libre et non faussée, de l’impasse du capitalisme.

Les innovations technologies doivent être aussi bien mobilisées du côté de la production (mix énergétique bas carbone) que du côté de la consommation par une meilleure efficacité énergétique  : bâtiments à basse consommation (en commençant par les bâtiments collectifs et publics), nouvelle forme d’urbanisme, voitures moins émettrices de CO2, nouvelles formes de mobilités, offres de transports en commun mieux maillés et plus propres, digitalisation. Le service public de l’énergie devra participer à la maîtrise globale de la consommation d’énergie dans les filières électricité et gaz en France.

Les investissements dans les différentes filières de production et les infrastructures deviennent un élément majeur pour dessiner l’avenir énergétique afin que les critères de choix soient fondés sur l’intérêt général, la sécurité d’approvisionnement et de desserte, ainsi que les solutions optimales afin d’atteindre à moindre coût les objectifs climatiques ambitieux de réduction des émissions de CO2. La production hydroélectrique doit être développée, la filière nucléaire doit être pérennisée par un remplacement des tranches en fin de vie tout en intensifiant les projets autour de la fusion nucléaire (Projet ITER notamment) qui font apparaître une énergie abondante ne générant que très peu de déchets radioactifs.

Le captage, la séquestration et la transformation à venir du CO2 s’inscrivent donc dans une dynamique d’intérêt général et de réduction des GES qui, déclinée aux secteurs de l’électricité et du gaz, doit être considérée dans tous les domaines  : production, transport et distribution de l’électricité et du gaz. C’est en ce sens qu’un moratoire sur la fermeture des centrales au charbon est nécessaire, notamment au regard des besoins d’énergie pilotable pour les années à venir. Des énergies fossiles, le gaz reste celle la moins émettrice de gaz à effets de serre. Le développement des filières biogaz, hydrogène ou méthane de synthèse va faire de cette filière un des acteurs central dans la lutte contre le réchauffement climatique, notamment par ses capacités de stockage dans la production d’hydrogène couplé à la production d’électricité non pilotable, notamment dans les renouvelables.

Que ce soit les infrastructures de réseaux électriques ou gaziers, la France possède de formidables équipements lui permettant de mener la lutte contre le réchauffement climatique et de répondre aux besoins de la Nation en s’appuyant sur les deux filières gaz et électricité. Il est donc primordial de maîtriser la filière gazière afin de gérer la complémentarité des énergies et de ne pas revivre dans le développement de la filière biogaz ce que nous vivons dans le développement erratique des énergies renouvelables électriques.

Bâtir un service public répondant aux besoins, rompre avec les logiques capitalistes

Il y a quelques mois, la fédération CGT Mines Energie et la fédération CGT des Industries chimiques ont communiqué ensemble sur la nécessité d’une nationalisation de l’ensemble du secteur énergétique (pétrole, gaz, électricité), une revendication de salut public !

Au-delà de l’énergie, il est des biens communs et des grands secteurs économiques qu’il est politiquement justifié de soustraire au marché, et notamment : les banques, les transports, les laboratoires pharmaceutiques, les grands secteurs industriels. Les choix opérés pour ces secteurs doivent être démocratiques et répondre aux besoins du plus grand nombre et non maximiser les profits. Pour ces secteurs, il faut créer par expropriation, de vastes secteurs publics qui reforment des monopoles, sous une économie planifiée donc non concurrentielle.

La reconquête industrielle ne peut se faire sans salarié. La réappropriation collective des moyens de production, à l’inverse du « dialogue social » stérile, c’est la mise en place de droits citoyens et d’espaces de démocratie au sein de chaque entreprise, pour peser au réel sur les choix d’organisation du travail et pour décider des investissements. Des conseils d’ateliers et de services doivent décider du « comment » produire. Et les représentants des travailleurs et travailleuses, ainsi que les collectivités, doivent disposer de droits effectifs permettant de stopper tout projet, en particulier d’investissements, nocifs aux intérêts collectifs.

C’est d’une rupture avec les logiques capitalistes que notre camp social à besoin. Nous n’avons rien d’autre à perdre que nos chaînes !