Nous reproduisons dans nos colonnes l’entretien réalisé par la revue Ballast avec Olivier Mateu, secrétaire général de l’Union départementale CGT des Bouches-du-Rhône.
L’article, publié le 13 mai 2023, sur le site de la revue Ballast: https://www.revue-ballast.fr/olivier-mateu-il-faut-partir-au-combat-lorganiser/
Mais on assiste aujourd’hui à une forme de stagnation. Se pose peut-être la question de la caisse de grève, pour soutenir les travailleurs dans le cadre d’une grève longue ?
Mais pourquoi dure-t-elle un mois, cette grève ? C’est que nous ne sommes pas assez nombreux ! Il manque encore la présence de beaucoup de corporations, de beaucoup de travailleurs et travailleuses. C’est la réalité ! Concernant les caisses : lorsqu’on fait grève, on perd de l’argent, c’est une conséquence inévitable. Que la solidarité soit indispensable au sein de l’organisation pour pouvoir durer dans le temps et ne pas trop perdre financièrement, c’est aussi une évidence. Mais on ne règle pas tout avec la caisse de grève. Selon moi, il ne faut pas commencer par poser la question de la solidarité, sinon ça revient à acter une grève par délégation. Si nous nous mettons en grève seulement quand nous sommes assurés qu’une caisse couvrira nos pertes, ça signifie qu’il y en a certains et certaines qui décident de ne pas y aller, et donc délèguent aux autres la responsabilité de contrer une réforme ou de faire avancer le progrès social… Au nom de quoi ? Alors dans ce cas, disons-le clairement : désignons par avance quelles corporations seront dédiées à sauver toutes les autres. Je suis totalement contre ça. Tout le monde a quelque chose à apporter, chacun doit contribuer à sa hauteur. D’abord, il faut partir au combat, l’organiser et ensuite se donner les moyens en termes de solidarité.
Le 7 mars, il a été question, pour l’intersyndicale, de mettre « la France à l’arrêt ». La formule « grève générale reconductible » n’a pas a été prononcée. Seuls trois jours ont été proposés, dans l’espoir que ça prendrait. Pourquoi aucun appel clair et précis n’a-t-il pas été fait ?
Si je me mets à la fenêtre et que je crie « Je fais un appel ! », la question est : à qui on s’adresse ? Et qu’est-ce qu’on propose ? Il clair qu’une fois par semaine, même tous ensemble, ça ne suffit pas, ça ne suffit plus. Il faut envisager des modalités complémentaires à ajouter aux formes traditionnelles de mobilisation. Malheureusement nous avons pris beaucoup de retard pour nous organiser sur ce point. Si nous faisons une grève par semaine, tout le monde le même jour à l’arrêt, que font les tauliers ? Neuf fois sur dix, le travail qui n’a pas été fait le jeudi le sera le lendemain, ou la veille. Je ne dis pas que ça ne sert à rien, mais l’essentiel des productions non faites seront rattrapées ou anticipées. C’est une réalité. Il ne faut pas prendre les patrons pour plus stupides qu’ils ne le sont. Il nous faut un calendrier d’action. C’est le point central. Nous avons besoin d’une vraie réflexion sur les manières de perturber, le plus possible et le mieux possible, la chaîne de production et d’échange. D’abord s’appuyer sur ce qu’il nous reste de forces, donc sur un certain nombre de secteurs-clés de l’économie — non pas pour les mettre en avant mais pour qu’ils forment un socle. C’est déjà un peu le cas aujourd’hui puisqu’au départ, quatre fédérations — ports et docks, chimie, énergie et cheminots — ont convenu de travailler ensemble. À partir de ce socle, tout ce qui vient s’agréger en plus participera à ralentir la machine. Et, de facto, à un moment donné, elle bloque.
Mais que pensez-vous qu’il faille faire, concrètement, pour aller plus loin ?
Je vais le redire plus clairement et franchement. Davantage que l’action simultanée un même jour, c’est l’action combinée de toutes les corporations qui fera effet. Si le container n’est pas déchargé du bateau le lundi mais seulement le mardi, il ne sera transporté qu’à partir du mardi ou du mercredi. Ces jours-là, si il y a une grève des trains, il restera à quai. Et le lendemain, si ce sont les routiers qui entrent dans la danse… Vous commencez à comprendre ? Je parle d’un mouvement reconductible impliquant l’ensemble des corporations, mais organisé avec intelligence et finesse. Est-ce possible de l’envisager en tant qu’ouvriers ? Est-ce possible de faire en sorte que la chaîne soit ralentie jusqu’à ce qu’elle s’arrête faute d’être alimentée par ses flux ? C’est ça, l’appel que nous lançons.
Ça demande surtout que nous soyons déterminés à gagner, que nous affichions clairement notre objectif. Comment on fait pour faire retirer une réforme à Emmanuel Macron ? On lui explique qu’elle n’est pas bonne ? Ça n’a pas marché. On lui fait la démonstration qu’il y en aurait une meilleure ? Il n’écoute pas. Ne reste plus qu’à bloquer son système. Son objectif était de donner un cadeau de 14 milliards d’exonération d’impôts aux entreprises, donc au profit du CAC 40. Aujourd’hui, par les grèves, nous sommes déjà à 12 milliards de pertes. Il ne nous reste plus que 2 milliards à leur faire perdre. Dans un mois, ils lui diront qu’ils n’en veulent plus de son cadeau. C’est ça qu’il faut viser — je sais bien que je ne découvre pas ici la formule magique…
À l’échelle des Bouches-du-Rhône, quel est l’état des relations intersyndicales ?
Sur le terrain, la cohésion de l’intersyndicale se maintient plutôt bien. Tous les lendemains des manifestations et des réunions de l’intersyndicale à échelle nationale, nous nous voyons et discutons pour savoir comment décliner les actions dans le département. Ici, comme partout ailleurs, il y a la réalité propre au territoire. Les Bouches-du-Rhône ont leur propre bassin économique avec quasiment la moitié des raffineries du pays qui sont dans le département. Forcément, la question du raffinage, du carburant et de sa distribution en générale y est plus prégnante. Donc la place de la CGT. Mais la CGT ne porte pas à elle seule la responsabilité de mener le mouvement à la victoire. Nous avons besoin de cohésion sur le terrain. Chacun réunit les siens là où ils sont et on essaie de travailler ensemble. Il y a aussi au sein des entreprises des assemblées générales interprofessionnelles qui, évidemment, peuvent s’organiser — là où les travailleurs réussissent à s’entendre.