Entretien avec le responsable CGT Cheminot de Trappes : « Tout est encore possible, l’enjeu c’est d’arriver à généraliser le mouvement »

Alors que la mobilisation sociale contre la réforme des retraites se poursuit, nous avons interviewé Axel Persson, secrétaire général du syndicat CGT Cheminot de Trappes.

Unité CGT : Quel (premier) bilan après plus de 45 jours de grève reconductible chez les cheminots ?

Axel Person : « Après plus de 45 jours de grève, il faut évidemment constater que la mobilisation est toujours aussi significative même si aujourd’hui elle n’est pas au même niveau d’intensité qu’en décembre. Ce que le mouvement aura permis, c’est d’engager une lutte qui a dépassé le seul cadre corporatiste dans lequel voulait nous enfermer le gouvernement, c’est-à-dire la supposée défense des seuls régimes dits « spéciaux ».

Des mouvements ont ainsi essaimé un peu partout, non seulement chez les cheminots les traminots, mais aussi chez les salariés de l’Opéra, les salariés de l’Energie, les enseignants, évidemment les raffineurs qui sont rentrés dans le mouvement, et maintenant les salariés des industries portuaires.

Ce qu’on peut aussi constater au bout de 45 jours de grève, c’est l’obtention de quelques inflexions catégorielles ou générationnelles. Les professions les plus mobilisées ont pu infléchir à la marge les attaques. Par exemple, le rapport Delevoye prévoyait que tous les salariés nés après 1963 seraient concernés [par la réforme]. Au fur et à mesure de la grève, ce paquet là est passé à 1975 pour les salariés du régime général, et 1985 pour les professions les plus mobilisées comme les conducteurs de trains ou les conducteurs de métro.

Évidemment, on ne peut pas s’en satisfaire. Mais le constat est double : d’une part, les professions qui sont mobilisés sont celles qui reculent le moins. D’autre part, si on veut dépasser ce constat de « on limite la casse », la seule solution c’est l’extension du mouvement et sa généralisation à l’ensemble des secteurs, notamment chez les salariés qui dépendent du régime général et qui se trouvent très majoritairement dans le secteur privé. Si on veut dépasser ces quelques inflexions catégorielles et corporatistes, il faut qu’on arrive à généraliser le mouvement. C’est ça l’enjeu.

Les 45 jours de grève des cheminots ont permis de poser des jalons en ce sens-là. On constate depuis la semaine dernière qu’il y a une réelle tentative de [rentrer en grève] de la part de plusieurs secteurs. Je ne sais pas si ça sera suffisant mais si une forme de relais peut être donné à des cheminots qui sont un peu épuisé après 45 jours de grève mais qui [ne veulent pas rendre les armes] alors toutes les possibilités seront encore ouvertes. »

Unité CGT : On parle souvent de répression policière. Pourtant, la répression patronale est également un frein puissant à l’élévation du rapport de force. Quels constats pouvons-nous tirer du mouvement général contre la réforme des retraites, notamment dans le privé ?

Axel Persson : « Ce qu’on a aussi pu constater dans cette mobilisation, c’est malheureusement le recul, et en partie la déliquescence du mouvement ouvrier organisé dans plusieurs grosses entreprises du privé. Ces reculs très importants font que les réflexes collectifs comme la grève, la grève de masse, le fait qu’on se bagarre collectivement, ne sont pas des réflexes qui viennent naturellement.

C’est lié à plusieurs choses, à la précarisation et l’éclatement des entreprises, entre les sous-traitants et les maisons mères, et au sein même de ces différentes structures, entre les CDI, les intérimaires, les CDD… Tout cela fait que les collectifs de travail sont structurellement fragilisés par les politiques patronales de ces dernières années et qui rendent assez difficile l’organisation ouvrière, l’organisation collective avec des structures stables. Cette situation, on le voit très concrètement dans les zones industrielles autour de Trappes, y compris dans des endroits où on a des militants CGT de bonne volonté mais qui sont confrontés à ces obstacles objectifs.

La seule chose qu’on peut dire, c’est qu’on a tous une force collective, il y a en juste certains qui en ont conscience. Si on cesse le travail tous ensemble et notamment dans le secteur privé, toute la machine économique se grippe. C’est ça le rapport de force. Mais ce qui est devant nous dans les années à venir c’est évidemment la reconstruction du mouvement ouvrier dans le secteur privé. C’est un des enjeux majeurs, et la CGT toute entière doit s’en emparer.

Le mouvement n’est pas encore fini, ce sera la tâche des militants, une fois que ce mouvement sera terminé et quelle qu’en soit l’issue, de continuer à travailler ces liens interpro pour que de ce mouvement sortent de nouveaux bataillons de grévistes prêts à aller au conflit, qui ont pris conscience de leur force et qui surtout ont acquis la conviction qu’on a raison de lutter quoi qu’il arrive. Maintenant la tâche doit être d’étendre cette conscience à d’autres secteurs. C’est ça la tâche pour l’avenir.  Si on arrive à tirer ça comme enseignement de manière collective, on se sera renforcé malgré tout.

Toute une nouvelle génération de traminots, notamment au métro mais aussi au bus, est vraiment rentrée dans l’arène de la lutte des classes par la grande porte. Ce sont ces travailleurs qui ont tiré le conflit en avant. Ce qui va être très important, c’est que les militants de la grève capitalisent sur tout ça, créent des collectifs, des structures pour l’avenir. C’est très important. »

Unité CGT : Selon toi, comment pouvons-nous élever le niveau de rapport de force de manière immédiate ?

Axel Persson : « Dans l’immédiat il faut que d’autres secteurs rentrent en grève avec la même intensité.  Dans certains secteurs, c’est à portée de main comme par exemple dans l’industrie portuaire. C’est réjouissant de voir que la lutte commence vraiment. J’espère que ça va se multiplier, que ça va se maintenir à ce niveau-là et que ces secteurs arriveront à élargir la grève, à entrainer d’autres secteurs à leurs côtés.

L’enjeu actuel, parce qu’on sait que la grève n’aura pas la même intensité à la RATP et à la SNCF, c’est le relai, y compris pour que les cheminots puissent re-rentrer dans la bagarre très intensive. S’il y a un relai avec des industries clés et structurantes, qui poursuivent le mouvement, tout est encore possible. Là ce dont on a besoin c’est de perspectives d’extension pour élever le rapport de force. »