QUELQUES PISTES DE REFLEXION

Amplifier les luttes existantes, élargir les bases de la mobilisation interprofessionnelle

Cette fin d’année 2022 a été émaillée et continue d’être touchée par de nombreuses grèves et mobilisations, à la fois spécifiques à certains secteurs économiques et interprofessionnels. Cette intensification de la lutte montre que le conflit Travail/Capital continue de s’aiguiser. S’il est bien évidemment nécessaire de poursuivre ce mouvement d’élévation du rapport de force, il est aussi important de mettre en évidence les caractéristiques de cette séquence de lutte septembre-octobre-novembre.

Des luttes fédératrices

À l’appel de la CGT, de nombreuses journées nationales de grèves et de mobilisations ont eu lieu. Celle du jeudi 10 novembre, dans le prolongement des grèves nationales des 27 et 18 octobre, et la journée du 29 septembre.

La grève puissante en septembre et octobre dans les secteurs structurants que sont les secteurs pétroliers et pétrochimiques a ainsi visibilisé les grèves offensives pour les salaire set les actions massives des travailleurs avec la CGT. Le vent a ainsi tourné : en quelques jours, la question des salaires a été projetée à sa juste place, sous le feu des projecteurs. La grève des raffineurs accompagnait un mouvement de fond de grèves tous azimuts, dans tous les secteurs et branches professionnelles, et a donné un élan supplémentaire à la généralisation des luttes et mouvements de grève.

Plus encore, le terrorisme d’État pour casser la grève (importations de pétrole, y compris russe ; relais des fake news grossière de Total ; réquisitions) a suscité la réaction de la CGT toute entière, dans un esprit de construction du rapport de forces.

Le conflit Capital/Travail s’est donc élevé de plusieurs crans en quelques jours. Il est bien évidemment possible, et nécessaire, d’aller encore plus loin dans l’élévation du rapport de force.

Partout dans le pays, cette séquence de grèves – qui se poursuivent encore dans de très nombreux secteurs – ont montré qu’une part croissante du peuple n’accepte plus l’explosion des prix, notamment dans l’alimentaire et l’énergie, et la perte de salaires face à l’inflation et le refus politique d’augmenter les salaires, pensions et allocations.

Si la grève du 10 novembre a été moins suivie à l’échelle nationale, elle a fortement mobilisé dans certains secteurs, notamment les transports urbains parisiens où la CGT et les syndicats avaient annoncé une journée noire sur la RATP.

Alors que certains parlent d’essoufflement de la lutte, il est intéressant de questionner les modalités de construction de cette séquence de luttes.

Questionner les « journées d’action »

Des journées de grève interprofessionnelle, souvent désignées comme des « journées d’action », ont ponctué la dernière séquence de mobilisation. Ces journées d’actions interprofessionnelles se limitent à des appels à la grève de 24h non reconductibles et espacés entre eux à intervalles plus ou moins réguliers de plusieurs semaines, voire de plusieurs mois. Ces journées d’action interprofessionnelle « saute-mouton » sont donc destinées à s’arrêter à la fin de la journée de travail, le lendemain chacune et chacun reprenant le chemin du travail.

Il n’agit pas de remettre en cause, de façon dogmatique, l’intérêt de ces journées de grève interprofessionnelle, fussent-elles limitées à une seule journée. Ce type d’action permet, effectivement, d’intensifier une lutte particulière et de l’étendre à d’autres secteurs économiques. Ces journées d’action donnent un rythme à la mobilisation, et nul ne peut douter que tous les travailleurs – indépendamment de leur entrée en grève – soient sensibles à ce rythme.

Sous certains aspects, c’est bien ce qu’il s’est passé lors de la journée de grève interprofessionnelle du 18 octobre. D’une part le puissant mouvement dans les raffineries a débordé de ce secteur pour s’étendre à de nombreux autres ; d’autre part cette journée de mobilisation a été vécue par beaucoup comme une réponse collective à l’agression patronale et gouvernementale, et la manifestation d’une profonde solidarité de classe dont certains sous-estiment volontairement la portée. 

Toutefois, on ne peut pas concevoir la construction de la lutte interprofessionnelle par l’expression de cette seule forme de mobilisation ponctuelle. Les formes et objectifs de la grève interprofessionnelle doivent être dictés par l’analyse de la situation réelle du rapport de force secteur par secteur. En guise d’illustration, l’arrivée massive des NAO (Négociation annuelle obligatoire) dans de nombreuses entreprises au cours des mois de septembre et d’octobre a renforcé les conditions objectives à la construction d’un grand mouvement généralisé de lutte interprofessionnelle.

Plus encore, il s’agit de prendre en compte les luttes existantes dans les secteurs économiques clés qui structurent l’activité économique du pays : industrie chimique, transport, secteur énergétique entre autres. Là encore la lutte des raffineurs pour gagner des augmentations de salaire a clairement renforcé la détermination des travailleuses et des travailleurs des autres secteurs à lutter.

On ne peut accepter que quelques responsables syndicaux nationaux, parfois éloignés de ce qu’il se passe dans les entreprises et les services, décident de la construction de la lutte sans tenir compte de l’appréciation des syndicats et des structures interprofessionnelles – ULs, UDs – de la CGT. On ne peut accepter que le rythme de la mobilisation interprofessionnelle soit dicté par l’agenda de rencontres entre les responsables confédéraux des « principales organisations syndicales ».

La réussite des journées de grève interprofessionnelle du 29 septembre puis celle du 18 octobre ont montré qu’il existait une voie pour l’intensification des modalités de la lutte. Si, la généralisation de la grève – tant dans l’espace que dans le temps – est de la responsabilité de toute la CGT, nous savons toutes et tous que – subjectivement – un appel confédéral à la grève interprofessionnelle reconductible est perçu par les syndiquées et syndiqués CGT mais également par l’ensemble de notre camp social comme un véritable indicateur du niveau de la lutte.

L’exacerbation des contradictions capitalistes, entraînant des politiques publiques comme patronales de plus en plus violentes à l’encontre des travailleuses et des travailleurs, font apparaître la nécessité de faire reculer un gouvernement et un patronat qui n’a plus rien à négocier. Toutes et tous perçoivent qu’une seule « journée d’action », ce n’est pas assez pour faire céder le gouvernement et le patronat. Or lorsque c’est cette seule stratégie qui est proposée, il n’est pas étonnant de voir notre camp se laisser gagner par la résignation, le fatalisme, le défaitisme. On ne peut pas qu’entretenir l’espoir d’être « plus nombreux la prochaine fois ». Il faut faire mieux.

Les faiblesses de la « stratégie » actuelle, reposant essentiellement sur la croyance du syndicalisme rassemblé, sont en partie liées à cette déconnexion entre les formes de mobilisation et la situation – objective et subjective – vécue par les travailleuses et les travailleurs. Les faiblesses de la « stratégie » actuelle sont en partie liées aux objectifs qu’elle s’assigne. Ce que le moment exige nous pour être à la hauteur des enjeux, c’est de redonner confiance à notre camp en sa force et en son projet

Marcher sur nos deux jambes

À la croisée des chemins, la CGT est confrontée à un choix déterminant. Souhaitons-nous – en dernière instance – influer sur les décisions du gouvernement et du patronat pour aménager le système actuel ou souhaitons-nous construire un mouvement de lutte capable de porter la rupture avec ce système ?

De cette question stratégique fondamentale découle notre tactique. Souhaitons-nous, à l’instar des organisations non-gouvernementales, faire du lobbying ou souhaitons-nous organiser la lutte à partir des aspirations légitimes de notre camp social ?

Il ne s’agit pas de questions théoriques. La démarche du Collectif Plus Jamais Ça est, quoiqu’en dise ses promotrices et promoteurs, une réponse à ces questions. En déconnectant la question environnementale des enjeux liés au mode et aux rapports production, elle est déconnectée des enjeux de transformation du système économique, elle perd son caractère de classe. L’activité de lobbying se substitue alors à l’action syndicale.

Notre objectif doit s’éclaircir : nous devons, avec la généralisation des grèves, passer à la grève reconductible et/ou illimitée, coordonnée et impulsée pour balayer l’économie et mettre le patronat et le gouvernement à genoux. Cela ne dépend que des travailleuses, des travailleurs et de la CGT qui ont leur destin entre leurs mains.

Rejetons la sidération et l’attentisme. Soyons acteurs et non pas spectateurs du moment : c’est bien l’ensemble de notre camp qui est concerné. Tous et toutes, chacun et chacune d’entre nous, quel que soit notre lieu de travail, notre secteur d’activité ou notre branche professionnelle ; nous avons tous et toutes notre mot à dire, nous avons à prendre, « ensemble et en même temps », à hauteur des possibilités, part au grand mouvement social qui s’annonce.