La réaction immédiate des travailleurs de Renault et de la CGT face à l’annonce du plan d’économies de 2 milliards d’euros sur trois ans par la direction du constructeur automobile a contraint le groupe à louvoyer. Renault, qui compte supprimer 15 000 emplois dans le monde, dont 4600 en France, a en effet multiplié les déclarations contradictoires ces derniers jours.
Les premières négociations du mardi 2 juin à Bercy en présence notamment du ministre de l’économie, Bruno Le Maire, de la direction de Renault et des syndicats ont permis, selon la presse, « d’éclaircir » l’avenir du site MCA, filiale de Renault à Maubeuge, « au-delà de 2023 ». Le gouvernement estime avoir obtenu les garanties qu’il réclamait. Bruno Le Maire « signera aujourd’hui la garantie du prêt de 5 milliards d’euros qui doit être consenti à Renault », a annoncé le ministère de l’Économie à l’AFP.
Pour Jérôme Delvaux, secrétaire du syndicat CGT-MCA, l’issue de cette réunion est « une grande victoire ». « Au-delà du maintien des 2 100 salariés, il y a aussi un engagement pour trouver un nouveau véhicule à construire pour garantir l’emploi au-delà de 2023 », a-t-il ainsi déclaré.
« La mobilisation de samedi a eu un énorme impact », a expliqué le syndicaliste à la presse, précisant que les salariés se prononceraient le mercredi 3 juin sur la reprise de l’activité. « Dès la semaine prochaine, nous serons autour de la table pour commencer les négociations avec Renault pour l’avenir du site et un prochain point sera réalisé avec le ministre de l’Economie en septembre », a-t-il encore ajouté.
Mobilisation massive des travailleurs de Renault en Bretagne, à Maubeuge et Choisy le Roi
En France, la mobilisation des travailleurs a paralysé, par la grève, le site de la Fonderie de Bretagne la semaine dernière tandis que des milliers de personnes manifestaient samedi à Maubeuge pour « sauver » MCA. Plus de 8 000 personnes ont ainsi défilé, bravant l’interdiction de manifester, de l’usine MCA jusqu’à l’Hôtel de Ville. Syndicalistes, salariés, citoyens et élus, tous ont manifesté pour défendre l’industrie et l’emploi.
De plus, les mardi 2 et mercredi 3 juin, la grande majorité des salariés de l’usine Renault de Choisy-le-Roi se sont mis en grève reconductible.
Ce site est le seul en France à être spécialisé dans la rénovation et le reconditionnement des moteurs et boîtes de vitesse pour permettre un échange standard à moindre coût pour le consommateur comme pour l’environnement.
Le PDG de Renault a annoncé le transfert de cette activité au site de Flins, affirmant que l’usine de Choisy-le-Roi serait le « seul site à fermer en France à l’horizon 2022 » sur les 14 sites industriels du groupe. Soulignons par ailleurs que le PDG a visiblement oublié ses propres propos quant à l’avenir incertain des autres sites, et notamment de la Fonderie de Bretagne !
Le constructeur automobile compte en réalité profiter au maximum des effets d’aubaines « libérés » par la crise sanitaire, économique et sociale pour supprimer des postes et mettre en concurrence les salariés des différents sites en transférant des activités d’un site à l’autre.
Enfumage à grande échelle : le PDG de Renault multiplie-t-il des promesses qu’il ne tiendra pas ?
Le PDG de Renault, Jean-Dominique Senard est intervenu le lendemain de la grande manifestation à Maubeuge, pour affirmer, sans grande conviction, qu’il n’avait « aucune intention » de fermer le site de MCA. Il a également assuré : « Il n’y aura pas de licenciement sec, ni de souffrance sociale ».
Mais, quelle crédibilité peut-t-on accorder à un patron qui souhaite, avant tout, prévenir une mobilisation sociale simultanée dans ses usines et conclure un deal avec l’Etat pour un prêt à hauteur de 5 milliards d’euros, payé de la poche du contribuable et des salariés ?
Prenons un premier exemple concret : vendredi 29 mai, le directeur de la Fonderie de Bretagne (400 salariés) a réagi à la grève en affirmant aux salariés que la fonderie (400 salariés) ne fermerait pas.
Quarante-huit heures plus tard, le PDG de Renault prenait la parole pour rectifier : la Fonderie de Bretagne (FDB) « n’a pas vocation » à rester au sein du groupe Renault. « On a dit clairement que nous allions ouvrir une analyse stratégique sur cette entreprise, et donc parmi les solutions que nous allons discuter (…) la cession en fait partie », avait ajouté Jean-Dominique Senard.
En réalité, ces paroles, contradictoires et mensongères sont bien l’expression d’une crainte réelle vis-à-vis d’un mouvement social qui pourrait mettre la direction du groupe à genoux. Ajoutons également que le PDG prend aussi la parole pour « sanctuariser » aux yeux de l’opinion le prêt de l’Etat, alors même que Renault a mis sur la table un plan brutal d’économies et de suppressions de postes. Rappelons également que l’Etat possède encore 15% du capital de Renault.
Pour la CGT, la politique menée par la direction de Renault est loin de rompre avec celle menée par l’ancien patron Carlos Ghosn, qui a fui la justice japonaise en se réfugiant au Liban. « Une stratégie financière (…) qui a permis de baisser de plus de 50 % la production française », a ainsi rappelé Fabien Gâche, délégué syndical central CGT, au micro d’Europe 1, vendredi.
« La stratégie actuelle est assez suicidaire pour Renault (…) On est face à une direction qui présente des réductions « de coûts » sans aucune autre stratégie ferme, volontaire, pour avoir une gamme élargie « de véhicules « correspondant aux besoins des populations et aux enjeux environnementaux » , a ajouté le délégué syndical central CGT lors d’une conférence de presse en visioconférence.
Pour défendre l’emploi, garantir notre indépendance et notre souveraineté industrielle, la question de la nationalisation sous contrôle ouvrier de l’entreprise (et non pas la « nationalisation des pertes et la privatisation des bénéfices) pourrait, à terme, revenir sur le devant de la scène.
Ajoutons enfin que Nissan, tout comme ses partenaires Renault et Mitsubishi, veut faire appliquer un plan brutal de restructuration et veut notamment fermer son usine à Barcelone. Là encore, la réaction des travailleurs et des syndicats a été immédiate, paralysant l’activité du constructeur automobile.
Quelles perspectives de luttes ?
La situation chez Renault n’est pas spécifique au constructeur automobile. La vague de fermetures d’entreprises et de licenciements commence à se fait ressentir dans tout le pays tandis que les attaques anti sociales se multiplient.
Pour rebondir face à une crise anticipée mais accélérée par la pandémie, la bourgeoisie a en effet besoin d’une destruction de capital pour relancer le cycle d’accumulation, et d’une baisse brutale de la répartition de la valeur créée entre travail et capital.
L’application des ordonnances « scélérates » qui autorisent et encouragent la surexploitation des travailleurs, notamment via l’augmentation de la durée du temps de travail, ne se limite pas à tel ou tel secteur. De même, nul n’est à l’abri de l’utilisation du chômage et de la précarité par le patronat pour contraindre tous les travailleurs à baisser, individuellement et collectivement, la tête.
Dans ces conditions, comment espérer gagner si chacun y va « dans son coin », y compris au sein du même groupe, pour défendre « ses » emplois et garanties ? La possibilité de victoires « locales » est en réalité plus que jamais conditionnée, certes à la mobilisation « locale » des salariés, mais également à un mouvement social plus large, national et interprofessionnel, confédéralisé autour d’axes revendicatifs communs.
La défense de l’emploi, de la protection sociale, de l’industrie, l’exigence d’une protection sanitaire maximale, de l’augmentation des salaires, de la réduction et du partage du temps de travail et des richesses créées sont en effet des revendications communes aux travailleurs, quel que soit le secteur, la branche professionnelle ou l’entreprise.
La seule sortie passe en conséquence par une lutte interprofessionnelle, qui mêle (et n’oppose donc pas) les revendications immédiates et le changement de société. Personnel de santé, caissiers, électriciens, éboueurs, fonctionnaires, ouvriers de la chimie, de la métallurgie, de l’agroalimentaire, cheminots et traminots, etc… tous ont démontré au cours de la crise que « seul le peuple sauvait le peuple ».
Porteuse d’espoir, la date du 16 juin, initialement avancée par le secteur de la Santé comme grande journée de mobilisation, peut et doit donc être élargie à l’ensemble du monde du travail.
Notons à ce propos que l’appel à la grève le 16 juin de la Fédération nationale CGT des Industries Chimiques va dans le sens d’une « interprofessionalisation » de cette journée de mobilisation et pourrait entrainer d’autres structures de la CGT à s’y joindre, avec leurs propres revendications.
A l’heure du déconfinement des luttes, il y a urgence à relever la tête et relancer notre machine CGT, tous ensemble, et en même temps. Le 16 juin peut être le point de départ d’une réponse de classe à la caste au pouvoir.