POUR UN SYNDICALISME OFFENSIF

Pour un syndicalisme offensif

Alors que s’avance la bataille des retraites et le 53ème congrès confédéral de mars, nous sommes toutes et tous confrontés sur nos lieux de travail aux difficultés du moment. Sans passer sous silence ces difficultés, mais bien en partant d’elles, il s’agit de penser un syndicalisme offensif qui permette à l’ensemble des travailleuses et des travailleurs de renouer avec la victoire.

Un syndicalisme à la hauteur des enjeux

La période que l’on traverse aujourd’hui, marquée par une aggravation de la crise structurelle que traverse le capitalisme, est intéressante à plusieurs égards. La crise révèle la réalité du pouvoir politique notamment celui d’Emmanuel Macron. Un pouvoir qui n’hésite pas utiliser la violence institutionnelle (le 49.3), la violence sociale (les réquisitions) et les violences policières pour empêcher tout débat politique et toute contestation sociale. Alors que ces dernières années l’idéologie dominante a voulu cacher l’exploitation capitaliste derrière des concepts tels que la responsabilité sociale des entreprises, la crise économique révèle la supercherie. Où est la « responsabilité sociale » de Total quand cette dernière refuse d’accorder des augmentations de salaires ? Où est la « responsabilité sociale » de toutes ces entreprises gavées de subventions publiques qui licencient à tour de bras pour maintenir les dividendes de leurs actionnaires ?

Cette crise révèle aussi ce que le patronat et le gouvernement veulent que le syndicalisme soit. D’abord un syndicalisme assigné à résidence professionnelle, c’est-à-dire confiné aux quatre murs de l’entreprise, du service. Un syndicalisme, ensuite, qui se cantonne à la négociation dont le cadre est défini unilatéralement par l’employeur, quel qu’il soit. Enfin, un syndicalisme qui ne s’occupe pas des questions sociales, qui ne fait pas de « politique ». Bref, les capitalistes veulent un syndicalisme neutre, inoffensif, dévitalisé.

En plaçant les organisations syndicales, en particulier la CGT, face à ses responsabilités historiques, la période actuelle permet une clarification du projet syndical des uns et des autres. Au fond, il s’agit de choisir entre les deux visions qui ont toujours structuré la vie syndicale. La première repose sur la négation de la lutte des classes et considère que le salariat et le patronat partagent des intérêts fondamentaux dans la vie de l’entreprise. La seconde s’est construite sur une culture révolutionnaire reposant sur l’affirmation des intérêts inconciliables du patronat et du salariat. Ces deux visions sont à l’origine de deux propositions différentes : celle du rapport de droit, celle du rapport de force. 

Dès lors la question fondamentale est de savoir si un syndicalisme qui s’enferme dans une conflictualité strictement juridique est capable de gagner autre chose que la régression sociale ? L’histoire du mouvement ouvrier en France, nous apprend que tous les conquis sociaux ont été obtenu à la suite de grands mouvements de lutte. En 1936 ou en 1968, ce sont bien les occupations prolongées des sites de production – le blocage de l’économie – qui ont permis d’arracher les congés payés, la réduction du temps de travail ou les augmentations de salaires. À chaque fois que l’ordre dominant s’est trouvé contraint de céder, c’est parce qu’il s’est trouvé confronté à la détermination des organisations ouvrières, au syndicalisme offensif de la CGT.

Un syndicalisme offensif au plus près des travailleuses et des travailleurs

Un syndicalisme offensif mène une activité syndicale quotidienne qui repose sur la double besogne. Cela impose d’œuvrer à l’amélioration de la vie des travailleuses et travailleurs (temps de travail, salaires, conditions de travail, etc.) et dans le même temps, lier cette lutte à l’émancipation générale des travailleurs et travailleuses, par la socialisation des grands moyens de production et d’échange. La perspective d’expropriation du capitalisme ne doit pas être un objectif lointain éclipsé par les revendications quotidiennes. Au contraire, un syndicalisme offensif inscrit les objectifs immédiats dans un nécessaire changement plus global de société. Les uns ne peuvent pas aller sans l’autre.

Un syndicalisme offensif n’est ni un syndicalisme institutionnalisé porté par des élus professionnels, ni une cogestion du système. Il se fonde sur la confrontation directe avec les capitalistes. Il impose la mobilisation de tous les travailleuses et travailleurs et se doit donc d’être de masse, à l’inverse du syndicalisme d’accompagnement qui ne nécessite nullement l’adhésion large des travailleurs et travailleuses, car il est, avant tout, un syndicalisme d’experts du dialogue social.

L’étiolement des forces organisées au sein de la CGT se poursuit. Or, nous sommes toutes et tous conscients que sans un syndicalisme de masse, il ne peut exister un véritable syndicalisme de classe. La syndicalisation doit être la priorité de l’ensemble des organisations de la CGT, et c’est ce débat qui doit être au cœur des discussions du 53ème congrès.

Faire de la syndicalisation une priorité n’est pas une simple posture. Il s’agit d’abord et avant tout d’y consacrer les moyens nécessaires. Les sections syndicales et les syndicats, en prise avec les revendications immédiates des travailleuses et des travailleurs, sont en première ligne face aux offensives du patronat. Acculées par l’intensité de ces offensives, les bases syndicales ont besoin – quel que soit leur secteur professionnel – de trouver la solidarité interprofessionnelle. Dans combien d’entreprises ou de services nos élus et mandatés sont isolés face à leur direction ? Dans combien d’entreprises ou de services, nos élus et mandatés – faute de perspectives – se résignent à accepter les propositions du patronat. On a besoin de développer nos organisations locales dans les territoires et notamment les unions locales.

L’Union locale CGT est le quartier général pour tous les syndicats d’un bassin d’emploi donné. C’est une structure dans laquelle la priorité doit être mise afin de les développer et non pas les laisser végéter dans des simples accueils juridiques, qui contrarient la visée du travail militant et de la mobilisation collective transformant les Unions locales en lieu d’expertise juridico-prud’hommale.

Nos Unions locales doivent redevenir des lieux de construction des luttes, de réflexion et de débat. Elles doivent avoir les moyens suffisants pour ne pas s’enfermer dans de l’accompagnement juridique individuel des salariés. Et là encore, il ne s’agit pas d’une posture. Quels moyens les syndicats, les fédérations et la confédération consacrent-ils à l’animation des unions locales ? C’est aussi au sein des Unions locales, que les élus, les mandatés et l’ensemble des responsables de la CGT d’un territoire peuvent discuter ensemble de la façon de construire un rapport de force.

Sans perspectives de luttes, sans un syndicalisme qui renoue avec la lutte de classe, il ne peut y avoir de renforcement significatif de nos bases syndicales. Les Unions départementales, les fédérations et la Commission exécutive confédérale doivent jouer un rôle déterminant dans la convergence des colères et la confédéralisation des luttes. Le comité confédéral national (CCN) doit assumer cette responsabilité.

Comme s’est construite la CGT, la structuration territoriale et professionnelle permet de déployer notre syndicalisme en répondant aux attentes du bassin d’emploi et en même temps à celles des professions. Ainsi il n’y a pas la profession qui prend le pas sur l’interprofessionnel ou inversement, mais bien un travail commun, en vue de mobilisations générales, au plus près des bassins d’emploi ainsi que dans toutes les professions. Répondant au principe que l’organisation des travailleurs et travailleuses doit correspondre à la stratégie politique du syndicat, cette double structuration répond au cœur de notre objectif : la satisfaction des revendications quotidiennes et la transformation de la société.

Un syndicalisme offensif utile aux travailleuses et aux travailleurs

Nous avons besoin de réaffirmer notre volonté d’un changement profond de société et d’une organisation qui assume sa double besogne. C’est à dire, un syndicalisme qui assume le combat du quotidien et le changement de société : un syndicalisme qui organise les luttes revendicatives qui s’inscrivent dans un projet de rupture avec la société capitaliste. Notre syndicalisme ne peut être un syndicalisme du « coup par coup » mais un syndicalisme qui assume ses équilibres à tous les niveaux : propositions, impulsion des luttes et négociation lorsque – armée du rapport de force – la CGT peut arracher des avancées.

Pour mener ces tâches, nous avons besoin de retrouver une qualité de vie syndicale, de renouer avec des modes de fonctionnement démocratique. Cette culture d’organisation repose sur la consultation des syndiqués, sur le fédéralisme. Il faut que l’on retrouve collectivement le goût de l’effort militant, un militantisme qui ne se limite pas à la journée de travail, un militantisme exigeant qui assume que nous ne serons sauvés par personne d’autres que par nous-mêmes. 

Si nous voulons être parmi celles et ceux qui œuvrent à  l’élévation du niveau de conscience des travailleuses et des travailleurs, nous avons le devoir, l’obligation d’être cohérent sur l’ensemble des propositions que l’on porte. S’il n’y a aucun débat dans lequel nous ne pouvons pas intervenir, il n’y aucun débat dans lequel nous devons laisser de côté nos revendications et notre identité syndicale, sinon on tombe dans le lobbyisme. Or la traduction syndicale du lobbyisme c’est le syndicalisme d’accompagnement.

L’actuelle stratégie de la direction confédérale CGT qui consiste à réunir un maximum de sigles d’organisations syndicales dans l’espoir de massifier la lutte est un constat d’échec. La diversité des syndicats est issue de scissions, des volontés patronales de créer des « syndicats » à leurs mains, des syndicats souhaitant qu’une partie des salariés soit organisée dans des organisations sectorielles. Cette stratégie aboutit à défendre des revendications sur la base du plus petit dénominateur commun, sachant que dans ce dernier, la perspective de changement de société est systématiquement écartée, ce qui contribue à entraver la mise en échec des attaques gouvernementales et patronales.

Cette dérive s’est aujourd’hui élargie au-delà du champ syndical avec la dilution des
orientations et de l’action de la CGT dans des collectifs de type « Plus jamais ça », auxquels la CGT participe sans décision des instances statutaires, pour aboutir à des actions porteuses de contenus pouvant même être en contradiction avec les orientations de la CGT. La voix de la CGT doit retrouver pleinement sa singularité, c’est la condition de constructions unitaires ambitieuses et victorieuses.

« La révolution c’est changer tout ce qui doit l’être » (Fidel Castro), si la CGT est une organisation révolutionnaire, elle ne peut avoir peur de changer encore faut-il que cela soit utile à l’une de ses besognes. Le choix que nous avons à faire est simple. Il n’y a plus de grain à moudre, le camp d’en face n’a plus rien à négocier mais veut tout nous reprendre. Si la période actuelle n’est pas simple, à quel moment de l’histoire du capitalisme la lutte a été facile ? L’enjeu c’est de refaire confédération, c’est-à-dire bâtir une volonté commune pour défendre les droits que nous avons conquis et partir à la conquête de nouveaux droits.

Un outil comme la CGT a été construit pour que les travailleuses et les travailleurs s’en servent, nos débats – fussent-ils idéologiques – ne peuvent s’éloigner du terrain de l’action.