La crise du Coronavirus a déchiré le voile sur la réalité des conséquences de la désindustrialisation. Alors que plusieurs sites industriels stratégiques majeurs en France sont fermés ou menacés de fermeture, des syndicats CGT pointent du doigt la pénurie de médicaments et de matériel médical et font le lien avec la stratégie du capital. Nous avons notamment interrogé à ce sujet Yannig Donius, secrétaire du Comité social et économique et délégué syndical CGT Famar Lyon.
Nous ne polémiquerons pas ici sur le bien fondé ou non des propositions du docteur Raoult concernant la chloroquine comme base d’un médicament contre le coronavirus. Toutefois, l’occasion doit être saisie pour questionner et dénoncer les choix de l’industrie pharmaceutiques concernant la casse de l’outil industriel et la recherche du profit à tout prix.
De même, les choix du gouvernement de ne pas prendre des mesures concrètes, immédiates et réalisables de relance d’une industrie du médicament au service non du patron, mais du patient, sont révélés aux yeux de tous.
A titre d’exemple, l’usine Famar Lyon, placée en redressement judiciaire depuis presque 9 mois, est le seul site industriel à fabriquer et conditionner le comprimé nivaquine (dont le principe actif est la chloroquine sulfate) à destination du marché français.
La CGT du site a récemment interpellé les autorités : « Les dernières interventions du ministre Olivier Véran sur les situations critiques liés aux pénuries de médicaments et au risque épidémique du Covid 19 devraient nous permettre de reconsidérer l’avenir de notre site dans le but de retrouver une indépendance sanitaire. »
Le syndicat, qui se bat pour la prolongation de l’activité industrielle sur le site et la pérennisation des quelques 300 personnes employées, alerte sur la pénurie à venir de nivaquine : « Après le manque de masques et de tests, doit-t-on ajouter une rupture d’approvisionnement de la nivaquine pour cause de fermeture de Famar Lyon ? ».
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Dans plusieurs communiqués et lettres ouvertes adressés au pouvoir politique, la CGT propose « la nationalisation du groupe […] pour répondre aux « besoins sanitaires et satisfaire ainsi les intérêts de santé publique ». Le syndicat rappelle également « l’importance stratégique de notre outil de production, qui sans repreneur, fera l’objet d’une liquidation judiciaire ».
Le syndicat rappelle également « l’existence de capacités industrielles non utilisées ». Selon la CGT, « les compétences développées sur notre usine permettent de garantir une continuité d’exploitation tout en assurant notre mission principale de fournir les traitements nécessaires aux patients et ainsi soustraite la production des médicaments d’intérêt thérapeutique majeure (MITM) à l’irrationalité du marché en matière de santé publique. »
Enfin, la CGT interpelle une nouvelle fois le ministre de la santé et réitère : « le site […] est à disposition pour répondre aux besoins sanitaires de milliers de patients en souffrance et ainsi satisfaire les intérêts de la santé publique. »
En résumé, malgré la crise sanitaire exceptionnelle, Famar n’a toujours pas été réquisitionné ou nationalisé, le site fonctionne encore en sous capacité et est condamné à court terme par le redressement judicaire. Sanofi, qui commercialise la Nivaquine, ne s‘est toujours pas manifesté auprès de Famar. De même, si d’un côté, l’Etat marocain décide de réquisitionner et d’acheter l’ensemble des stocks disponibles de Nivaquine et Plaquenil, fabriqués dans le site industriel de Sanofi Maroc à Casablanca, l’Etat français maintient un silence radio scandaleux sur la question de la réquisition des stocks de médicaments.
On constate aujourd’hui les ravages de la désindustrialisation, la casse de notre indépendance sanitaire et de nos capacités de réponse aux urgences.
Entretien avec Yannig Donius, secrétaire du Comité Social et économique et délégué syndical CGT Famar Lyon
Comment expliquer le silence des grands groupes pharmaceutiques ? Comment expliquer le risque de pénurie de médicaments ?
Sanofi ne mise pas sur la nivaquine parce que ces médicaments ne leur rapportent presque rien. Sanofi met en avant le plaquenil pour répondre à la crise sanitaire parce que ce groupe à la main sur la chaîne d’approvisionnement puisque ses propres usines fabriquent à la fois la matière active mais également le produit fini. Le risque sur le plaquenil consiste en une rupture de stock rapide et une pénurie à venir. Les patients qui auraient besoin de prescriptions de plaquenil risquent de se retrouver en difficulté du jour au lendemain pour avoir accès à leurs traitements.
On paye aujourd’hui la stratégie industrielle des labos. En 2019, avant même de se retrouver dans la situation de redressement judiciaire, et alors qu’on ne parlait pas encore de la crise du Covid 19, on avait déjà alerté sur le risque de pénurie de médicaments. On disait déjà qu’il fallait retrouver une forme d’indépendance sanitaire et donc garder un tissu industriel au niveau national.
On paye aujourd’hui les stratégies du capital. Dans la pharmacie, ça a commencé avec l’augmentation de la sous-traitance des différentes activités. On constate aussi que les labos se sont recentrés sur des molécules « blockbusters » et que tous les produits « matures » ont été confiés la plupart du temps à la sous-traitance pharmaceutique. Donc, ils gardent dans les pipelines les molécules à forte valeur et le reste est délégué à la sous-traitance. Cette production peut être réalisée sur le sol français, mais aussi à l’étranger, dans des pays où le coût de la main d’œuvre est beaucoup plus intéressant pour les grands groupes.
Avez-vous eu des réponses à vos courriers et communiqués ?
A notre niveau c’est le silence radio même si on sait que ça discute en coulisse. Pour l’instant ça ne se retranscrit pas dans des offres pour le site de Famar Lyon. Toutefois, on a eu des échanges avec les administrateurs judiciaires et alors qu’on ne suscitait aucun intérêt de la part des acteurs industriels, on commence maintenant à avoir quelques échos depuis une semaine.
Néanmoins, pour l’instant, il n’y a toujours pas d’offre de reprise. Même si l’Etat est en train de se secouer pour essayer de trouver une issue à la problématique qu’on a soulevé, je pense que malheureusement c’est uniquement pour répondre au chaos médiatique sur la crise sanitaire. Ça fait plusieurs mois qu’on les sollicite sur ce sujet.
A l’instar des ex-salariés de Luxfer, vous vous mettez à la disposition de la population pour produire des médicaments et du matériels médical, comment vivez-vous le fait d’être en capacité de travailler pour la population mais d‘être entravé par la recherche de profits et le redressement judiciaire de Famar Lyon ?
C’est tout le problème de notre situation. Ce qu’il faut mettre en avant c’est qu’on est un site de façonnage, donc on fait partie de la sous-traitance et que donc qu’on n’a pas la main sur la possibilité de commercialiser nos propres molécules. On est donc de facto dans une impasse parce qu’on est dans l’obligation d’attendre les commandes des différents clients. Ce sont donc ces derniers qui dirigent la vie de l’entreprise. Or, ces donneurs d’ordre ont des stratégies contraires au fonctionnement normal d’un site industriel pharmaceutique, et nous, nous subissons malheureusement ces stratégies et leurs conséquences.
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La nationalisation du groupe permettrait une reprise en main du site par l’Etat afin de le resituer comme un site industriel pouvant répondre à la crise actuelle.
Est-ce que ce sera la solution retenue ? Très sincèrement, je ne le pense pas, ou alors comme solution provisoire. En coulisse ils cherchent une solution avec un acteur privé. Mais en tout cas, nous on n’a pas de retour sur le la proposition de nationalisation ou de réquisition.
Comment peut-on expliquer qu’un petit pays, sous embargo, de seulement 11 millions d’habitants, comme Cuba, est capable répondre aux besoins de sa population en termes de santé et de médicaments, et que la France n’en soit visiblement pas capable ?
En France, les labos recherchent le profit, ils ne se posent pas la question de répondre aux problèmes de santé publique L’objectif de ces grands groupes n’est pas de répondre aux besoins de la population. C’est tout l’inverse à Cuba où, depuis plusieurs décennies, il y a une volonté d’assurer une réponse sanitaire aux Cubains et où les autorités font tout pour assurer la viabilité des chaines de fabrication.