LA CGT DEVAIT-ELLE SIGNER L’ACCORD ACCIDENTS DU TRAVAIL, MALADIES PROFESSIONNELLES ?

Accidents du travail, maladies professionnelles. La CGT devait-elle signer l’accord ?

Le 31 mai dernier, la CGT a validé l’accord national interprofessionnel (ANI) relatif aux accidents du travail (AT) et aux maladies professionnelles (MP). Peu débattu au sein de la CGT, cet accord a des conséquences directes dans la prise en charge par le patronat des accidents du travail et des maladies professionnelles et sur l’avenir de la Sécurité sociale.

Une volonté patronale de mainmise sur la gestion des accidents du travail et des maladies professionnelles. L’accord prévoit que la commission paritaire ATMP qui dépendait jusqu’alors de la branche de l’assurance maladie se transforme en « conseil d’administration ». La portée politique de cette transformation, au-delà de son aspect technique, est dramatique puisqu’à terme c’est la remise en cause de la branche de l’Assurance maladie qui est visée. La CGT s’était d’ailleurs largement opposée en 1994 à la création de la branche ATMP car elle constituait la première étape de cette transformation en séparant la prise en charge de la santé au travail de l’ensemble des questions de santé au sein de la Sécurité sociale. C’est d’ailleurs ce raisonnement qui a conduit la CGT à s’opposer en 2021 à la création de la 5ème branche de la Sécurité sociale y décelant un moyen d’isoler le grand âge de la prise en charge de tous les malades et de poursuivre la remise en cause du financement de la Sécu par les cotisations.

L’enjeu budgétaire de cette transformation est fort pour l’avenir de la branche de l’Assurance maladie car le budget de l’ATMP est très excédentaire du fait de son taux de cotisation modulable en fonction de la sinistralité du secteur ou de l’entreprise. Le patronat veut plus de pouvoir pour conserver et orienter cette manne financière. Rappelons également que le patronat a toujours souhaité mettre la main sur ce pactole puisque l’ATMP est financé exclusivement par des cotisations patronales. De plus, la transformation de la commission paritaire – présidée par les représentants du patronat – en conseil d’administration va renforcer les prérogatives du patronat. Ainsi, il reprendrait la main sur un enjeu qu’il n’a jamais lâché, la gestion du financement des ATMP.

Plus encore, avec cette transformation le patronat fait le jeu du gouvernement et de la cour des comptes qui dans son rapport sur la sécurité sociale 2022 préconise la création d’une branche unifiée pour le versement des indemnités journalières maladie et ATMP mais dissociée de la branche maladie réduite à la seule prise en charge des « frais de santé ». Une telle réforme aurait pour conséquences de faire disparaître la question de la sous-déclaration des AT, évaluée entre 1,2 et 2,1 milliards d’euros, de laisser le libre champ au patronat sur l’ensemble des arrêts de travail et de dissocier définitivement la question de la prise en charge de la santé (frais de santé, accès aux soins) de la question de la santé au travail.

L’abandon de la réparation patronale au profit d’une prévention hostile aux travailleurs. Cette transformation de la branche ATMP va fragiliser la réparation patronale. On pouvait s’attendre à ce que l’ANI fixe des objectifs d’amélioration de la réparation, en particulier l’amélioration des rentes ATMP. Or il n’en n’est rien, puisqu’il est même inscrit dans l’accord qu’il faudra comparer et rapprocher les rentes ATMP de la pension d’invalidité qui relève du cadre de la maladie sans lien avec le travail. Autrement dit il est fort probable que les réparations qui relèvent des ATMP – c’est-à-dire de la responsabilité des employeurs – soient transférées à l’invalidité qui implique une incapacité à travailler. Cela implique que la réparation des séquelles des ATMP ne soient plus prises en charge et donc financées par le budget ATMP donc par le patronat mais par le budget maladie. C’est l’abandon du principe de réparation : l’accident du travail causé par l’employeur n’aurait plus à être correctement indemnisé par ce dernier. Pour justifier cette régression le patronat a accepté quelques mesures comme l’abaissement du taux minimum d’incapacité permanente de 80% à 40% pour bénéficier du recours à la tierce personne ou comme l’abaissement également du taux d’incapacité autorisant l’accès à la reconnaissance des pathologies professionnelles hors tableau figé depuis 20 ans qui passe de 25 à 20%.   A priori ces mesures ne vont concerner que très peu de travailleuses et de travailleurs.

On ne peut pas déconnecter ce texte de l’ensemble des autres mesures régressives et en particulier celles contenues dans la loi santé travail qui ont honteusement entériné une déresponsabilisation des employeurs face à des conditions de travail et une santé des travailleurs qui se dégradent constamment. Ces textes ont même créé des mesures qui facilitent la possibilité de se débarrasser des travailleuses et des travailleurs qui rencontrent des problèmes de santé. L’exemple de la création du « rendez-vous de liaison » à la main de l’employeur durant l’arrêt des salariés est criant. L’ANI ATMP ne revient en rien sur ces dispositions. Au contraire il les prolonge puisque que tous les développements sur la prévention devraient permettre aux patrons de « prouver » qu’ils ont pris les mesures de prévention nécessaires et que les accidents lorsqu’il y en aura ne seront pas de leur responsabilité mais bien de celle des salariés. Cet accord remet en cause la responsabilité première et unique de l’employeur en termes d’AT dans la législation de Sécurité sociale.

Des promesses patronales qui n’engagent que ceux qui les croient. L’accord prévoit un recrutement de 20 % d’ingénieurs conseils pour les Carsat. Or ce sont bien les lois de financement imposées par l’État aux caisses de Sécurité sociale et non des accords interprofessionnels qui déterminent les moyens octroyés aux Carsat. D’ailleurs, pour les années 2023-2027 le gouvernement prévoit des suppressions de postes dans la majorité des branches de la Sécurité sociale notamment au sein de l’assurance-maladie où 1750 suppressions sont déjà prévues. Il n’est donc pas impossible que cette dimension de l’ANI ne soit pas retranscrite par le gouvernement dans la loi qui devra modifier le code de la Sécurité sociale et les moyens budgétaires consacrés.

Le caractère de classe du syndicalisme prôné par la CGT découle de ce qu’elle fait, en lien avec ses positions et les éléments de connaissance à sa disposition propres à une situation. La CGT détermine en toutes circonstances où sont les intérêts de classe des travailleurs et des travailleuses et agit en conséquence. Si on peut ainsi légitiment douter que cet accord signé aille dans le sens du 100 % Sécu défendu dans nos repères revendicatifs confédéraux, puisqu’il fragilise à terme son financement, la CGT n’aurait pas dû apporter sa signature à cette accord qui entérine une régression et en annonce de nouvelles.