ANALYSE : CONTRAT ENGAGEMENT JEUNE

Contrat d’engagement jeune : décryptage d’un dispositif absurde et maltraitant

Le gouvernement a présenté le mercredi 7 juin en Conseil des ministres son projet de loi « plein emploi », qui doit donner naissance à France travail, le successeur de Pôle emploi, de Cap Emploi et des Missions locales. La mesure phare de ce projet de loi est l’introduction d’un « contrat d’engagement obligatoire » pour l’ensemble des privés d’emploi (chômeurs, allocataires du RSA, etc.) qui seront désormais obligatoirement inscrits à France travail. Or, depuis Mars 2022 le gouvernement a déjà imposé un dispositif similaire à travers le « Contrat Engagement Jeunes » (CEJ).

Le CEJ un dispositif inefficace et coercitif. Dès son lancement, la CGT a dénoncé le CEJ qu’elle a désigné comme le « pire dispositif jeunes ». Ce contrat d’engagement, mis en place à marche forcée dans les missions locales, met en place une allocation pouvant aller jusqu’à 528€ « sous conditions de respecter » 15 à 20 heures hebdomadaires d’activités. La logique du CEJ est donc bien celle des « Devoirs avant les Droits », dogme si cher au pouvoir macroniste et au patronat. Ainsi se met en place une usine à gaz qui oblige les jeunes à justifier leurs heures d’activités et aux conseillers de les contrôler. Selon la Fédération CGT des organismes sociaux : « La lourdeur et l’inopérationnalité de cette obligation impossible à prescrire autant qu’à suivre » est la seule évidence qui ressort de la mise en place du CEJ.

Pour le syndicat CGT des missions locales, la relation entre le jeune et son conseiller s’est profondément dégradée dans le cadre de ce CEJ, en passant d’une logique d’accompagnement du jeune vers l’emploi et plus globalement pour favoriser son insertion sociale, à une logique de contrôle des obligations associées à l’allocation. « Insidieusement avec le CEJ, c’est l’accompagnement qui est détruit » conclu le syndicat. Ce contrôle a d’ailleurs, selon les témoignages des conseillers de mission locale, une portée fortement intrusive. Par exemple, des jeunes pressés de déclarer les activités qu’ils ont effectuées au cours de la semaine détaillent leur rendez-vous médical, en total contradiction avec leur droit au secret médical. Si dans le cadre du suivi d’un jeune par un conseiller de la mission locale des sanctions étaient déjà prévues, notamment dans le cadre de la « Garantie jeunes », elles prennent avec le CEJ une autre dimension puisque c’est le conseiller qui les prononce. Ainsi, avec la pression exercée sur les jeunes, avec la perte de confiance entre jeune et conseiller dans le cadre d’un accompagnement qui perd son sens, les cas d’agressivités verbales et de violences physiques sur les conseillers mission locale sont en hausse. Pour la CGT il faut clairement « mettre fin à cette logique absurde, intrusive et maltraitante » dont est victime la jeunesse la plus en difficulté socialement et scolairement.

D’autant plus que d’après l’aveu même de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), saisie par le ministre du Travail en septembre 2022, les données disponibles ne permettent pas de conclure à un impact positif du CEJ dans l’accompagnement des jeunes à l’emploi et à l’insertion sociale.

L’obligation d’activité du CEJ, une mesure inatteignable. La majorité des activités « proposées » (SIC) aux jeunes sont le plus souvent contraintes et forcées, les conseillers ne les justifient que comme un moyen de se conformer aux règles. Là encore, la logique d’accompagnement en prend un coup. Mais le plus dramatique, c’est que l’IGAS reconnaît elle-même que près de 40 % des bénéficiaires n’atteignent pas le seuil de 15h d’activité hebdomadaire. Confrontée à des données qui mettent à mal la logique de l’obligation d’activité, l’IGAS préfère proposer d’abandonner leur collecte et leur étude au niveau national, parlant d’une agrégation « non significative », plutôt que de remettre en cause le dispositif lui-même. Malheureusement, ce n’est pas en détournant le regard du réel que le réel cesse d’être ce qu’il est. Le tribunal des faits est têtu mais le gouvernement et ses hauts-fonctionnaires, préfèrent mettre en place des réformes dogmatiques hors-sol plutôt que de répondre aux besoins de la population tels qu’ils se posent.

Le CEJ, outil de mise en concurrence de Pôle emploi et des missions locales. Le CEJ a été déployé au sein des missions locales et des agences pôle emploi. Pour favoriser son déploiement, le gouvernement a débloqué une enveloppe budgétaire conséquente pour « l’accompagnement » (SIC) des jeunes en CEJ. Ainsi, un jeune qui entre le dispositif CEJ rapporte à l’opérateur qui le suit 300 € de plus, en moyenne, qu’un jeune en « Garantie jeunes ». Ainsi, les directions de pôle emploi sont allées jusqu’à inviter des jeunes déjà suivis et accompagné par une mission locale à s’en désinscrire. Dans son rapport, l’IGAS relève d’ailleurs des différences majeures d’accompagnement entre Pôle emploi et les mission locales dans l’accompagnement des jeunes. Si 99 % des jeunes suivis par les missions locales dans le cadre du CEJ ont bénéficié d’une ouverture de l’allocation, ils ne sont que 55 % à en avoir bénéficies dans le cadre d’un suivi par pôle emploi. Pour la Fédération CGT des organismes sociaux cette situation pourrait s’expliquer par un « choix délibéré de ne pas octroyer l’allocation » ou par « l’inscription dans le CEJ de jeunes ayant des ressources suffisantes » ou encore par une « sortie rapide du dispositif ».

Dès la naissance du dispositif CEJ, la CGT l’a dénoncé et a vu une première pierre à l’édification de France Travail : « les jeunes allaient expérimenter le contrôle et la justification des 15 à 20 heures d’activité pour avoir droit à l’allocation ». La CGT avait également vu dans la mise en concurrence de Pôle emploi et des missions locales, comme dans la désorganisation des services qui en découle, une manière de justifier la mise en place de France Travail Jeunes. Alors que le ministre du Travail présente la mise en place du « réseau France Travail » comme un moyen de mettre en relation les différentes opérateurs du service public de l’emploi, on voit bien à travers le déploiement du CEJ que la réalité est bien différente. Il s’agit surtout de poursuivre une politique de libéralisation et de territorialisation des missions du service public de l’emploi. D’autant plus que la constitution du réseau France Travail se fera sur le modèle de France Services.

Le Contrat d’Engagement Obligatoire… un échec annoncé. Alors que la mise en place du CEJ est loin d’être une réussite, le gouvernement a choisi de faire de son extension – à tous les privés d’emploi – la pierre angulaire de sa réforme. Demain, toute personne inscrite à France Travail devra signer un contrat d’engagement obligatoire. Ce contrat comportera, comme pour le CEJ, « un plan d’action avec des objectifs d’insertion sociale et professionnelle » à hauteur de 15 à 20 heures d’activités hebdomadaires.

Pour les allocataires et allocatrices du RSA, il s’agit de 15 à 20 heures de travail gratuit contre une allocation de 607€. Là où le gouvernement parle de simples « connexions » avec le monde du travail, il faut comprendre des stages en entreprise où les allocataires et allocatrices du RSA vont effectuer gratuitement le travail exercé par des travailleuses et des travailleurs. Pour les allocataires et allocatrices du chômage, il s’agit d’une remise en cause de leur Projet Personnalisé d’Accès à l’Emploi (PPAE) qui fixe notamment les critères  – métier, nature du contrat, salaire, périmètre géographique de recherche – de l’Offre Raisonnable d’Emploi dont le refus entraîne une radiation.

Alors que l’IGAS a été forcé de reconnaître dans son rapport l’insuffisance de l’accompagnement proposé aux jeunes engagés dans un CEJ, il apparaît compliqué de croire que l’extension de ce dispositif aux plusieurs millions de privés d’emploi soit une solution. Mais l’enjeu pour le gouvernement n’est pas là. Il s’agit surtout de mettre en place une machine à radier, à priver les travailleuses et les travailleurs de leurs droits. De faire peser sur les épaules de l’ensemble de notre classe sociale la chape de plomb du travail forcé tout en faisant croire que les entreprises auraient vocation à insérer les plus fragiles.

La privation d’emploi est massive en France, la précarité aussi. C’est un risque créé par la politique des employeurs, qui font de l’emploi la variable d’ajustement pour accaparer la totalité des gains de productivité. Malgré sa responsabilité dans cette situation, le patronat refuse avec acharnement toute hausse de cotisations sociales pour la financer. Au lieu de cela a été mise en place une série de mesures censées inciter au retour à l’emploi, en réalité ayant pour but l’exclusion de toujours plus de travailleurs et travailleuses de l’assurance-chômage et demain de l’ensemble des minimas sociaux qui permettent la survie de celles et ceux que le patronat a abîmé, broyé, exclu.

Contre la politique de classe de Macron et du gouvernement au service du patronat, c’est aux travailleurs et aux travailleuses, organisées dans la CGT, qu’il appartient de défendre le service public de l’emploi garantissant à tous ceux et à toutes celles que le patronat prive de leur emploi une juste indemnisation.