A PROPOS DU CONGRES DE LA CONFÉDÉRATION EUROPÉENNE DES SYNDICATS

Le 15e Congrès de la Confédération européenne des syndicats (CES) s’est tenu du 23 au 26 mai 2023 à Berlin, en Allemagne. Parmi les 600 déléguées, la CGT y a été représentée par huit mandatés. 

Que la CGT est-elle donc allée faire à ce congrès ? Pour la direction confédérale, il s’agissait de défendre un « renouveau syndical » à l’échelle européenne. « La CES va-t- elle être à l’offensive et proposer un agenda autonome ou pas par rapport à l’agenda de l’Union européenne ? » Voilà le principal enjeu relevé par la direction confédérale. Quoiqu’on puisse penser de la CES, force est de constater que le ton est donné. Pour la direction confédérale, l’enjeu de congrès n’était pas de débattre sur les différents moyens pour les forces syndicales européennes affiliées à la CES de se coordonner pour mettre en place des campagnes communes pour lutter contre les offensives patronales et gouvernementales impulsées par l’Union Européenne. Il s’agissait, pour la direction confédérale, de convaincre les syndicats affiliés à la CES de la nécessité de lutter contre ces offensives. Quelle ambition ! Mais, avant ce congrès, nous devions être rassuré et partir confiant car « la secrétaire générale de la CES, l’Irlandaise Esther Lynch est venue manifester en France deux fois contre la réforme des retraites ». La direction confédérale affirmait même que « La CGT est enfin entendue ».  Il est parfois des auto-congratulations qui frisent le ridicule.

Néanmoins, à l’issue de son congrès la CES a adopté une nouvelle plateforme revendicative et un appel à destination des travailleuses et travailleurs : « le manifeste de Berlin » articulé autour de cinq objectifs : « Mettre fin à la crise du coût de la vie », « Une transformation qui fonctionne pour les travailleurs », « Un tissu social et économique équitable », « Valoriser la paix, la sécurité et la survie », enfin « Une voix plus forte pour les travailleurs et les syndicats ». À la lecture de ce manifeste, on se rend compte que la seule forme d’action syndicale reconnue et recherchée par la CES est celle de la « négociation collective et du dialogue social ». Dans ses textes de congrès, la CES n’appréhende l’ensemble de l’activité syndicale européenne qu’à travers sa participation aux institutions européennes et aux comités d’entreprises européens. Il n’y a, dès lors, rien d’étonnant à ce que les plus ardents défenseuses et défenseurs de la CES soient également celles et ceux qui en défendent les principes, notamment celui de l’institutionnalisation du syndicalisme.

L’intervention de Sophie Binet pour la CGT au congrès de la CES laisse, au minimum, songeur. Comment, au moment où le patronat porte en France une attaque historique contre le salaire réel des travailleuses et des travailleurs, peut-on déclarer : « Sans les campagnes revendicatives offensives dans nos différents pays pour exiger des salaires répondant aux besoins des travailleurs, pas de Directive salaire minimum ! » ? Rappelons que cette directive n’introduit pas – contrairement à ce que son nom peut suggérer – un salaire minimum au sein de l’Union. La directive « invite les États membres à favoriser les négociations collectives, qui impliquent une importante mobilisation des partenaires sociaux, dans la définition des salaires minimaux. ».

Un congrès extraordinaire convoqué après le « Qatargate ». Les dirigeants des organisations syndicales européennes membres de la CES se sont réunis suite au scandale du Quatargate impliquant la haute direction de la CES et de la CSI. Cependant, la corruption a été la grande absente des thèmes au centre du Congrès. Aucune mention du scandale des 50.000 euros versés par des émissaires du gouvernement du Quatar à Luca Visentini, alors secrétaire général de la CSI, jusqu’en novembre 2022. Surtout, il ne semble pas y avoir de discussion à l’ordre du jour sur les raisons pour lesquelles le syndicaliste italien a pris cet argent : éviter toute critique, toute dénonciation du traitement reçu par les travailleurs engagés dans la construction des stades de la Coupe du Monde 2022 au Qatar. Avec des parlementaires européens et d’importants représentants d’ONG, la CES, par l’intermédiaire de Visentini, s’est engagée, en échange des 50.000 euros remis en liquide par deux hommes du gouvernement du Qatar, à éviter un jugement de condamnation de la Commission européenne qui aurait pu nuire à l’image construite autour de l’événement sportif.

Dans le même temps, lors de ses débats de congrès, la CES a fait la part belle aux officiels de la Commission européenne, des Etats membres de l’UE et aux organisations patronales européennes qui ont eu accès à la tribune. Ainsi, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, le chancelier allemand Olaf Scholz et le directeur général des employeurs européens (BusinessEurope) ont largement tenu le crachoir. En fait, le discours de la présidente de la Commission a même été célébré par une standing ovation, toute la salle se levant en l’honneur de la personne directement responsable de la pauvreté énergétique des travailleuses et travailleurs européens, de l’inflation massive, de l’atteinte aux droits des travailleuses et des travailleurs, de la casse des services publics partout en Europe. Tous ces prestigieux et responsables intervenants ont remercié la CES pour ses précieux services à l’UE, notamment pour avoir promu le « dialogue social » et la logique de « coopération de classe ». Tous, par l’intermédiaire du Congrès de la CES, ont annoncé la nouvelle attaque anti-ouvrière des gouvernements du capital-UE contre les travailleurs, la nouvelle ère d’austérité pour les peuples, de mise en concurrences des travailleuses et des travailleurs d’Europe, afin d’assurer la compétitivité, la croissance et les profits des grandes féodalités capitalistes.

Rompre avec la CES, poser le débat des affiliations internationales de la CGT. La raison d’être ouvertement proclamée de la CES est « de défendre la démocratie et le modèle social européen, la plus importante réalisation du siècle dernier ». Et comment pourrait-il en être autrement puisque le budget de la Confédération européenne des syndicats est financé à 75% par l’Union européenne elle-même ? L’équipe dirigeante de la CES, est en majorité composée de carriéristes de l’appareil de l’Union européenne, sans lien avec la classe ouvrière, comme l’avait révélé le PAME après le congrès de Vienne en 2019. « La direction de la CES est un groupe de bureaucrates bruxellois, de cadres spécialisés dans l’imposition de politiques anti-ouvrières, au service du grand capital et des monopoles, qui tous ensemble ont du mal à présenter 5 ans de travail. Au contraire, tous ont une expérience antérieure à Bruxelles, dans divers comités de l’UE et sociaux-démocrates, des services dans des instituts et des postes gouvernementaux, et l’un d’entre eux peut se vanter d’avoir été une fois à un rassemblement de travailleurs ! »

Encore aujourd’hui, nous continuons de subir les conséquences de la plus importante défaite infligée au mouvement syndical de classe, partout en Europe comme dans le reste du monde, en 1991,

Les travailleuses et les travailleurs en subissent – encore aujourd’hui – les conséquences, il suffit de regarder l’ensemble des mesures anti-ouvrières qui continuent d’être décidées dans les pays capitalistes. Par exemple en France tous les gouvernements, que ces derniers soient qualifiés de libéraux, de sociaux-démocrates, ou qu’ils se disent « de droite » ou «de gauche» ont mené la charge contre notre système de retraite. Ces offensives d’une violence historique contre les travailleuses, les travailleurs et leurs conquis sociaux ont eu des conséquences négatives pour les organisations syndicales qui ont progressivement acté – à l’instar des dernières directions confédérales – que la victoire contre la société d’exploitation capitaliste n’était pas possible, mettant ainsi un terme à la double besogne. Elles ont alors trouvé du réconfort, ou ont enfin pu « s’assumer », dans les bras de la CSI et de la CES, qui affirmait, à l’instar des « intellectuels » néolibéraux que la lutte des classes était terminée. En interne, ces organisations syndicales – comme la direction de la CGT – prétendent qu’elles veulent changer « de l’intérieur » la CES comme la CSI pour en faire des instruments de lutte. Aujourd’hui, 30 ans plus tard, il est temps de faire un bilan sérieux de l’adhésion de la CGT à la CES et à la CSI.

Alors que les offensives gouvernementales, aux ordres du patronat, pilotées par l’Union Européenne du capital étranglent toujours plus les travailleuses et les travailleurs, il est nécessaire de nous détourner de ces organisations qui promeuvent la collaboration de classe. L’adhésion de plusieurs organisations de la CGT – syndicats, Unions locales, Unions départementales et Fédérations – à la FSM doit permettre un débat franc et honnête sur la pertinence de l’ensemble des affiliations internationales possibles. L’implication de la FSM dans les luttes des travailleuses et des travailleurs en France en réelle. La FSM ne s’est épargnée aucun effort pour propager la solidarité internationaliste avec les grandes grèves de décembre 2019 quand la CES et la CSI soutenaient la réforme à point du gouvernement, la FSM a coordonné à l’échelle internationale les revendications des travailleuses et des travailleurs de Carrefour, la FSM a mis en évidence la lutte des travailleurs de la Centrale de Gardanne et plus récemment la FSM a apporté son soutien à la lutte des Verbaudet.

La nouvelle direction confédérale doit prendre la mesure des enseignements du dernier congrès. Lorsqu’une direction ne permet pas au débat contradictoire de se faire sereinement dans l’organisation, les conditions d’un congrès serein et apaisé ne sont pas réunies. Il faut que le bureau confédéral et la commission exécutive confédérale impulsent et discutent dans le cadre du CCN des modalités nécessaires à la mise en place de ce débat dans toute la CGT.