QUE RÉVÈLE L’ARRESTATION DU PATRON DE LA CSI ?

Ancien secrétaire général de la Confédération européenne des syndicats (CES) et actuel secrétaire général de la Confédération Syndicale Internationale, Lucas Visentini a été arrêté le 9 décembre pour corruption au profit du Qatar.

La police belge a également procédé à d’autres interpellations, dont celle de la socialiste Eva Kaili, vice-présidente grecque du Parlement européen. Ils sont soupçonnés d’avoir reçu de l’argent de l’émirat pour « influencer les décisions économiques et politiques » de l’institution.

Ces informations ont été soigneusement mis sous le tapis par la Confédération Syndicale Internationale et la Confédération Européenne des Syndicats. Il faut bien dire que cette affaire met à nu la réalité du syndicalisme de collaboration de classe. Rappelons au passage que l’actuel patron de la CES, Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT s’est illustré ces derniers mois en volant à la rescousse du gouvernement incapable de briser la grève des raffineurs et de la pétrochimie.

Dans un communiqué de presse, la Fédération nationale des Industries Chimiques CGT a estimé que l’arrestation de Lucas Visentini “met à jour non pas la question de la corruption d’un individu isolé mais les complicités politiques et financières directes dans les rouages européens, d’Organisations syndicales (en particulier la CES), des partis et d’ONG avec les institutions”.

“Ces pratiques et cette absence d’indépendance doivent être dénoncées avec fermeté car étrangères au syndicalisme. Il faut en finir avec cette petite minorité de syndicalistes en faveur du partenariat social, d’accompagnement et de collaboration avec le patronat.”, affirme encore la FNIC CGT.

Nous relayons également ci-dessous la déclaration de la Fédération syndicale Mondiale, en réaction à ces informations, ainsi qu’un post facebook de Jean-Pierre Page, responsable du secteur international de la CGT de 1991 à 2000.

Déclaration de la FSM

« L’arrestation de Luca Visentini, secrétaire général de la CSI, ainsi que de hauts fonctionnaires de l’Union européenne et plus particulièrement du Parlement européen, à la suite d’enquêtes qui semblent être en cours depuis un certain temps, démontrent un autre aspect dégoûtant du système politique et de la bureaucratie de l’Union européenne; de la  corruption et décadence. Cet incident met en lumière des pots-de-vin et des transactions impies, qui dans ce cas particulier sont liés à la dissimulation de crimes terribles commis contre des milliers de travailleurs, dont beaucoup ont perdu la vie au cours de leur travail quotidien, afin que la fiesta de propagande d’un régime corrompu ait lieu ; afin que des profits incroyables de divers groupes d’entreprises soient assurés.

Bien que les interrogatoires se poursuivent et sans vouloir les préjuger, l’arrestation de l’ancien secrétaire général de la Confédération européenne des syndicats (CES) et récemment élu secrétaire général de la Confédération syndicale internationale (CSI), remet également à jour la question de corruption au sein même du mouvement syndical.

L’incorporation du mouvement syndical « officiel », c’est-à-dire la CES, et son soutien substantiel aux politiques néolibérales et anti-ouvrières de l’Union européenne, l’absence de réaction substantielle de sa part dans un cours de sape et d’attaque continuelles contre les droits du travail et sociaux des travailleurs, coexiste clairement avec la corruption et l’utilisation des positions syndicales à des fins étrangères aux intérêts de classe des travailleurs.

Nous rappelons pour mémoire que la Fédération Syndicale Mondiale et son affiliée, l’Union Internationale Syndicale de l’UITBB, qui représente les travailleurs de la construction, ont opportunément dénoncé et mené des campagnes pour condamner les crimes et l’impunité  d’exploitation contre les travailleurs dans le processus de préparation de la Coupe du monde.

La FSM suivra de près l’évolution de cette sombre affaire ; elle exige également que les enquêtes soient aussi approfondies que possible et que soient révélés tous les arrière-plans louches qui se cachent derrière les crimes sociaux et de travail massifs qui ont été perpétrés pour rendre possible la tenue de la coupe du monde de football dans l’émirat du Qatar. »

Commentaire de Jean-Pierre Page, ancien responsable du secteur international de la CGT de 1991 à 2000.

Au sujet d’une affaire de corruption impliquant le nouveau secrétaire général de la Confédération Syndicale Internationale (CSI), un commentaire de Jean-Pierre Page.

La mise en cause par la justice belge et dans une affaire de corruption de Lucas Visentini, ex-secrétaire général de la Confédération Européenne des Syndicats CES) et nouveau secrétaire général de la Confédération Syndicale Internationale (CIS, ex CISL) est très grave. Elle est aussi révélatrice ! Elle met en évidence les complicités politiques et financière directes dans les rouages européens, d’organisations syndicales, de partis, d’ONG avec les institutions. Autant dire avec la commission de Bruxelles comme avec le parlement.

Cela renvoie à l’indépendance et au fonctionnement de la CES dont le budget est assuré à plus de 75% par l’Union Européenne et dont les dirigeants bénéficient d’avantages identiques aux fonctionnaires de l’UE, en matière de rémunérations, de conditions de travail, de promotions et ou le système de « pantouflage »existe depuis longtemps permettant de passer des bureaux de la CES à ceux de l’Union Européenne afin de poursuivre une carrière dans les meilleurs conditions possibles. Evidemment ce système n’est pas sans contrepartie. Cette affaire ci est dans les mains de la justice, celle-ci doit jouer son rôle.

Mais dans ce cas, sa particularité est qu’elle est liée au Mondial de Football qui se tient au Qatar. Ce n’est pas innocent ! Car dans les conditions scandaleuses que l’on sait, entre autre les plus de 6000 morts officiels sur les chantiers de constructions des infrastructures sportives dont les entreprises nord américaines furent les grands bénéficiaires dont AECOM, il faut bien reconnaître que la CSI et la CES ont laissé faire et qu’elles portent avec leurs affiliés une responsabilité dans l’immobilisme et l’impuissance de l’OIT (Organisation Internationale du Travail) comme dans la non-interpellation des autorités quataris et internationales.

Bien avant cet événement, j’avais personnellement dans mon livre « CGT : pour que les choses soient dites » mis en question cette corruption dans les rangs du mouvement syndical et j’avais également contesté le rapport en 2019 d’une mission au Quatar de la CSI (CISL) et d’administrateurs de l’OIT dont l’ancien secrétaire général de la CGT ou dans la perspective du Mondial de foot, l’on se congratulait devant les progrès sociaux enregistrés par cette pétromonarchie. On y annonçait même la reconnaissance du droit syndical pour bientôt. La réalité était et est tout autre. Les travailleurs migrants y sont toujours soumis à des conditions de travail de quasi esclavage, des journées de 14 et 16h, 7 jours sur 7, sans congés, de promiscuité, sans regroupement familial, de pressions et de violences dont la pratique de la kafala, c’est à dire la détention par l’employeur des tous les documents d’identité du travailleurs est un des exemples les plus accablants. La question se pose donc de savoir si cette affaire de corruption n’est pas en fait le prix du silence payé par des syndicalistes complices et sans honneur.

Je dois avouer que pour moi cette affaire n’est pas franchement une surprise. L. Visentini vient d’être élu secrétaire général de la CSI (CISL), il remplace l’australienne Sharan Burrow qui il y a quelques années a établit des relations privilégiés avec le groupe Danone. Bill Jordan un des prédécesseurs de Visentini et Burrow ne fût-il pas anoblit par la Reine d’Angleterre, tout comme d’autres dirigeants de cette organisation représentants inamovibles des travailleurs au conseil d’administration de l’OIT. De trop nombreuses affaires de corruption impliquent les confédérations syndicales affiliées à la CSI qui a succédé à la CISL.

Je pense à la Histadrout israélienne qui rackettent les travailleurs palestiniens ou actuellement autre exemple l’UAW, la puissante fédération de l’automobile de l’AFL-CIO dont les principaux dirigeants sont publiquement mis en cause pour le grand train de vie qu’ils menaient en détournant les cotisations des adhérents. Au récent congrès de la CSI, l’invité d’honneur y était Joe Biden qui lui a exprimé son soutien alors qu’il encourage la répression de 100 000 cheminots en grève aux USA. Il est vrai qu’au congrès de la CES, Lucas Visentini avait quant à lui salué Jean-Claude Junker, ancien premier ministre libéral Luxembourgeois et Président de la Commission de Bruxelles pour « avoir sauvé l’Europe sociale ».

Là, à travers ces pratiques et cette absence d’indépendance, sont les causes véritables de ces dérives qu’il faut dénoncer avec fermeté car elles sont étrangères au syndicalisme.Ces faits condamnables sont en profondes contradictions avec les principes du mouvement syndical international. Ils sont incompatibles avec les valeurs de dévouement, de désintéressement, de solidarité qui sont celles de militants syndicaux qui souvent connaissent la répression et même payent de leur vie leurs engagements en faveur de la justice sociale, de l’égalité et de la paix.

Je pense à nos camarades colombiens, brésiliens, philippins, canadiens, étatsuniens, ukrainiens et combien en France et en Europe.

On ne saurait mettre dans le même sac cette petite minorité de syndicalistes qui décrédibilisent l’action syndicale et dont les orientations en faveur d’un syndicalisme de partenariat social, d’accompagnement et de collaboration avec le patronat s’expliquent à travers leurs complicités, leur bureaucratie et leur professionnalisation avec les institutions européennes, les sociétés transnationales et financières.

Ce sont ces orientations et ces stratégies que préconisent la CES et la CSI qui sont les causes véritables d’une situation qui tourne le dos aux intérêts du monde du travail. C’est la raison pourquoi le syndicalisme a besoin de militants intègres et d’une activité transparente, d’une démocratie syndicale et ouvrière vivante. Cela ne peut être qu’à travers un syndicalisme de classe, de masse, démocratique, indépendant, comme le soutient internationalement la FSM (Fédération Syndicale Mondiale).

Jean-Pierre Page_____