PÉNURIE DE MÉDICAMENTS

Pénuries de médicaments : les labos privés incapable de répondre aux besoins de la population

 

L’organisation patronale du médicament, le Leem, a tenu le jeudi 11 mai une conférence de presse sur les « tensions d’approvisionnement et pénuries de médicaments » en France. En effet, depuis 2021 ce sont près de 2 160 références de médicaments qui sont en tension ou en rupture contre seulement 871 en 2018. En 2022 et 2023 le phénomène s’est accéléré et concerne aujourd’hui près de 12,5 % des références selon les données de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM).

 

Une crise d’approvisionnement généralisée. «L’amoxicilline, seule ou en association à l’acide clavulanique, fait l’objet de fortes tensions d’approvisionnement en France » depuis le 10 octobre 2022, selon l’ANSM. Ces tensions sont plus importantes pour les suspensions buvables en flacon, qui sont majoritairement prescrites chez les enfants. Produit entre autres par le laboratoire Biogaran, l’amoxicilline est l’antibiotique le plus prescrit en cas d’infections courantes (sinusite, otite, angine, pneumonie) chez l’enfant et l’adulte. Ces tensions d’approvisionnement concernent également les antalgiques les plus courants comme le paracétamol depuis le 26 mai 2022. Sa version pédiatrique, produite par le laboratoire Opella Healthcare France, est également concernée.

Cette crise frappe aussi l’accès des malades chroniques à leur traitement. C’est le cas de celles et ceux qui souffrent d’épilepsie, la maladie neurologique la plus répandue en France affectant près de 900 000 personnes dont 50 000 enfants de 5 à 15. Or le Sabril, produit par le laboratoire Sanofi Aventis France, est en rupture depuis le 2 janvier 2023. Associé à d’autres traitements antiépileptiques, le Sabril est efficace là où les autres associations thérapeutiques appropriées se révèlent insuffisantes ou sont mal tolérées par les patients. La vigabatrine, substance active qui compose le Sabril, est notamment particulièrement efficace pour éviter aux épileptiques ces crises qui peuvent causer des dommages irrémédiables au cerveau et potentiellement entraîner la mort, notamment chez les patients les plus jeunes. La date du retour à un approvisionnement normal des hôpitaux et des pharmacies en Sabril n’est toujours pas communiquée par Sanofi.

Depuis la fin de l’année dernière, les ruptures de stocks concernent également le misoprostol, molécule utilisée dans les IVG médicamenteuses, commercialisée en pharmacie sous les noms de Gymiso et MisoOne par le laboratoire Nordic Pharma. Or, selon Médiapart, en France, 76% des IVG sont réalisées par pilule abortive». Il s’agit ni plus ni moins, près de 50 ans après l’obtention du droit à l’avortement, de l’incapacité à garantir le droit fondamental des femmes à disposer de leurs corps.

Une crise d’approvisionnement systémique. Pour faire à cette crise le Leem « appelle le gouvernement à confirmer et concrétiser les mesures annoncées de revalorisation du prix de certains médicaments matures indispensables, dont les coûts de revient industriel n’ont cessé d’augmenter depuis plusieurs années et sont fortement impactés par le contexte inflationniste ». La crise serait conjoncturelle et il suffirait de gaver davantage le secteur pharmaceutique pour y mettre un terme. Or cet argument n’est pas recevable parce qu’il n’y a pas de lien entre le prix des médicaments et les tensions d’approvisionnements. En Suisse où les médicaments sont vendus plus chers, la situation d’approvisionnement n’est pas meilleure. La crise est donc systémique.

Dans les années 80/90 on comptait près de 500 entreprises et 170 000 salariés dans le secteur pharmaceutique. Depuis, la financiarisation des labos, la rentabilité à tout prix pour un maximum de profit, le niveau de rétribution des actionnaires ont pris le pas sur les investissements, en recherche, dans l’outil de production et les effectifs salariés. Aujourd’hui, il ne reste que 245 entreprises en France pour 98 000 salariés. Le médicament est tout simplement devenu un bien marchand ! La rétribution de l’actionnaire est devenue la priorité absolue au détriment de l’investissement sur les femmes et les hommes ainsi que sur l’outil industriel, sans que pour autant l’État n’intervienne, avec pour résultat les ruptures d’approvisionnement que nous connaissons en ce moment.

Depuis plus de 15 ans, la FNIC-CGT le dit, d’autres aussi : cette perte de capacité de production en médicaments et plus globalement en matériels et dispositifs médicaux, ne permet pas la réponse aux besoins en santé de la population. La pandémie du Covid l’a largement démontré. Tant que le système des brevets protégera la propriété privée plutôt que la santé des citoyens, tant que les entreprises pharmaceutiques évolueront dans un marché non régulé, c’est la loi de la rentabilité qui gagnera sur la santé.

Rompre avec ces logiques capitalistes pour sortir de la crise. Si l’on veut retrouver notre indépendance thérapeutique et notre sécurité sanitaire, relocaliser est indispensable mais pas seulement la production en tant que telle. Il faut relocaliser toute la filière qui permet d’arriver à la production du produit fini. Pour l’exemple, le Doliprane et l’Efferalgan sont produits en France, mais on ne fabrique plus en France le paracétamol qui nous vient essentiellement de Chine. C’est aujourd’hui la même situation pour près de 80 % des principes actifs.

Pour atteindre cette souveraineté thérapeutique, la mise en place d’un pôle public de santé intégrant les industries de santé est la solution. Aujourd’hui, il y a de multiples interlocuteurs, tous ne se parlent pas forcément et personne ne sait qui décide de quoi, si tant est, que des décisions soient prises. Les laboratoires privés, de fait, font ce qu’ils veulent alors qu’ils sont rémunérés – en grande partie – par de l’argent publique, celui de la Sécurité sociale.

Alors que la contre-réforme des retraites, ouvrant la voie au recourt à la capitalisation, est une attaque contre la Sécurité sociale présentée comme archaïque par le gouvernement, portons haut et fort l’ambition d’une Sécu du XXI siècle qui pourrait regrouper, organiser et coordonner la totalité de l’offre de soins en réponse aux besoins de la population, de l’hôpital, en passant par la médecine de ville, jusqu’au patient, en organisant la production et la gestion des stocks de médicaments, matériels et dispositifs médicaux. Pour notre santé aussi, il est urgent de tout reprendre.