Guerre sociale en Turquie : entretien exclusif avec le président de la Fédération syndicale du Transport

Afin d’éclaire le lecteur sur la situation sociale en Turquie, nous avons réalisé un entretien exclusif avec Ali Rıza Küçükosmanoğlu, président de Nakliyat-İş, – la Fédération du Transport affiliée à la Confédération révolutionnaire des syndicats de Turquie (DISK) et à la FSM -, et par ailleurs secrétaire général de l’Union internationale Syndicale du Transport, et membre du conseil présidentiel de la FSM.

En Turquie, l’AKP, le parti au pouvoir, a été contraint il y a quelques jours de reculer sur certaines des mesures phares qu’il prétendait imposer au nom d’une nouvelle loi de régression sociale.

Le tollé suscité par le projet de loi, et la mobilisation sociale, initiée par la Confédération révolutionnaire des syndicats de Turquie (DISK) ont fait hésiter puis reculer l’AKP. Les députés de la majorité ont ainsi préféré retirer les articles de loi les plus controversés, notamment les mesures qui devaient permettre aux patrons d’imposer des contrats à durée déterminée aux travailleurs de moins de 25 ans ainsi qu’à ceux de plus de 50 ans.

De même, le pouvoir a dû reculer sur ses projets de libéralisation des contrats de travail, qui généralisait la « flexibilité » (c’est à dire la précarité) et supprimait – pour près de 10 millions de travailleurs – l’indemnité de licenciement, l’indemnité-chômage et la prise en compte de ces indemnités pour les retraites. En tout, près de 10 millions travailleurs étaient concernés par ces mesures.

Toutefois, si Erdogan et l’AKP ont décidé de momentanément reculer, les discussions sur les modifications des règles concernant les licenciements, les contrats précaires, et l’Assurance-chômage se poursuivent.

Rappelons enfin que cette Fédération syndicale du Transport (Nakliya IS en turc) a organisé plusieurs événements de solidarité en direction des luttes des travailleurs de France, notamment pendant la grande grève de décembre contre la réforme des retraites.

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ENTRETIEN AVEC ALI RIZA KÜCUKOSMANOGLU

Pourquoi s’opposer à la loi concernant les réductions des indemnités de départ ?

Les tentatives de réduction des indemnités de licenciement remontent au coup d’état fasciste du 12 Septembre 1980. Vehbi Koç, l’un des capitalistes les plus riches de l’époque en Turquie, avait écrit une lettre à la junte dans laquelle il déclarait que les indemnités de licenciement étaient un fardeau pour les patrons, et demandait que la junte les aide à se libérer de ce poids.

Avec la junte fasciste, les indemnités de licenciement ont effectivement été diminuées. Les efforts des patrons pour se débarrasser des indemnités de licenciement ont continué après le coup d’état. Ils réclamaient que les indemnités de licenciement soient transférées à des fonds séparés.

Il faut rappeler que les indemnités étaient également synonymes d’une certaine sécurité de l’emploi pour les travailleurs. Devoir payer ces indemnités faisait hésiter les patrons quand ces derniers voulaient licencier leurs employés.

Aujourd’hui, avec cette nouvelle loi le gouvernement réactionnaire essaie de réduire encore les indemnités de licenciement en les transférant vers ces « fonds dédiés » mentionnés précédemment. La nouvelle loi fait également la promotion de la flexibilisation du travail.  En Turquie, si un travailleur est employé pour un travail flexible, il n’a pas le droit à des indemnités de licenciement.

La nouvelle loi apporte également une nouvelle convention de travail pour les travailleurs en dessous de 25 ans, ou au-dessus de 50 ans. Selon cette convention, ces travailleurs auront des contrats de travail partiel, ce qui veut dire qu’ils ne toucheront ni indemnité de licenciement, ni retraite. En résumé, le gouvernement vise à, tôt ou tard, éliminer complètement les indemnités de licenciement.

Comment votre syndicat répond-t-il à l’attaque contre les droits des travailleurs ?

Dans notre syndicat Nakliyat-İş, nous avons immédiatement mené de nombreuses actions contre cette loi qui s’attaque aux travailleurs. Nous avons organisé de nombreuses manifestations dans les entreprises où nous sommes présents. Notre syndicat a été la première organisation à agir.  Durant ces actions, nous avons appelé tous les syndicats de travailleurs à lutter contre ces nouvelles attaques.

Malheureusement, quelques syndicats jaunes se contentent de s’arranger avec le gouvernement sur des points de détails ; nous-même nous opposons fermement et entièrement à cette loi contre les travailleurs.

Malheureusement, à court-terme, nous ne voyons pas d’opportunité pour organiser une action massive, où participeraient toute la classe ouvrière et tous les syndicats, à cause de l’influence qu’ont ces syndicats jaunes sur la lutte des classes en Turquie.

Quelles sont vos revendications concernant la sécurité sociale, les réductions des indemnités de départ, les retraites et les droits des travailleurs en Turquie ?

Aujourd’hui, les droits sociaux des travailleurs sont attaqués dans le monde entier. Par exemple, en Turquie dans les années 90, il n’y avait pas d’âge minimum pour partir à la retraite. Mais avec les nouvelles lois de 1999 et 2008, les hommes et les femmes ne peuvent prendre leur retraite avant un certain âge, même si leurs contributions sociales devraient pourtant le permettre. Nous demandons que tous les travailleurs puissent partir à la retraite après avoir travaillé un temps déterminé, sans limite d’âge minimum.

Il faut également noter que le montant des retraites a été réduit d’un tiers. Autour de 35% des retraités touchent une pension qui se situe en dessous du salaire minimum en Turquie. Nous exigeons que les retraités aient une retraite leur permettant de vivre dignement. La moindre des choses serait que les retraités soient payés au-dessus du salaire minimum.

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