LA DIRECTION DE LA CGT A-T-ELLE SIGNÉ UN APPEL A LA GUERRE CONTRE LA RUSSIE ?

« Troupes de Poutine, hors de toute l’Ukraine » : un texte signé par plusieurs organisations, dont notre Confédération Générale du Travail, appell[ait] à manifester le samedi 10 décembre.

Cet appel pose un certain nombre de problèmes sur lesquels nous allons revenir.

Soulignons d’emblée le décalage posé entre les positions adoptées par la CGT et le contenu de l’appel à manifester le 10 décembre, caricatural et caractéristique de la désinformation à l’œuvre depuis l’intervention militaire russe fin février 2022.

Première remarque : le texte stipule que « toute l’Ukraine » serait à libérer. Cela implique donc que les régions de Crimée et du Donbass seraient occupées. Or, ces régions ont décidé massivement en 2015 de se séparer de l’Ukraine après un coup d’Etat brutal et sanglant animé par les partisans du rapprochement de l’Ukraine avec l’Union européenne et l’OTAN. La guerre civile qui se poursuit encore aujourd’hui dans le pays ne date pas d’il y a quelques mois mais dure depuis plus de 8 ans. Cette phrase porte donc la revendication des ultra-nationalistes et revanchards ukrainiens qui souhaitent faire revenir, par le fer et le feu s’il le faut, ces régions rebelles et majoritairement russes ou russophones.

Seconde remarque : le document, signé par des organisations françaises, ne mentionne pas le rôle pourtant fondamental des Etats occidentaux, notamment américains, français, britanniques dans le déclenchement indirect de l’invasion russe en Ukraine. Le soutien aveugle et total aux oligarques ukrainiens pro-UE et pro-OTAN, la volonté d’intégrer coûte que coûte (et contre l’avis majoritaire de la population ukrainienne) le pays dans l’UE et l’OTAN, la casse des Accords de Minsk par les grandes puissances ont provoqué cette guerre de très haute intensité. Ainsi, si on doit condamner d’un côté la volonté de Poutine de s’emparer du pays, on doit également condamner le rôle de Zelensky et de ses prédécesseurs, ainsi que les politiques impérialistes occidentales dans la région. Et bien évidemment exiger la sortie de la France de l’OTAN ainsi que le départ immédiat des soldats français stationnés le long des frontières russes.

Troisième remarque : cet appel signé par la CGT porte une analyse biaisée de la nature du conflit. Pour UnitéCGT, cette guerre est une guerre impérialiste qui oppose bien une Russie capitaliste et impérialiste aux autres grandes puissances, également impérialistes et alliés et soutiens directs du régime de Kiev. Il n’y a donc pas de camp à choisir, ni d’agresseur ou agressé. Les seuls coupables de la situation sont les capitalistes russes, ukrainiens, français, américains, britanniques. Les seules victimes sont les peuples et les travailleurs d’Ukraine et de Russie. Ainsi, en Russie comme en Ukraine, ce sont bien des centaines de milliers d’hommes qui sont contraints et forcés à partir au front.

L’appel à soutenir le gouvernement ukrainien couplé à une unique focale anti-russe n’est pas une position internationaliste. Pire, cela sous-entend que le gouvernement russe est seul responsable de la situation : on ment au peuple et on le désinforme. Est-ce le rôle de la CGT de se prêter à un tel jeu ?

Quatrième remarque : le nationalisme ukrainien, un des nationalismes les plus antisémites, racistes, homophobes, anti-tziganes, anticommunistes, est un poison qui irrigue désormais l’ensemble du spectre politique ukrainien. On ne le rappellera jamais assez, le basculement violent en 2013-2014 de l’Etat ukrainien dans le giron occidental a été rendu possible par la force de frappe des militants néonazis ukrainiens. Ce sont d’ailleurs ces mêmes militants qui ont massacré une centaine de syndicalistes et d’antifascistes à Odessa, avec la complicité des institutions et dans le silence médiatique le plus absolu.

Après 8 ans de régime autoritaire, les partis  de gauche sont interdits et les syndicats réprimés. La présence de bataillons paramilitaires d’extrême-droite comptant des milliers de combattants est désormais connu de tous et toutes.

Comment la direction CGT peut-elle, d’un côté, appeler à lutter contre l’extrême-droite en France, et de l’autre côté soutenir sans réserves un gouvernement ukrainien gangréné par les idées néofascistes ? Cela n’est ni cohérent, ni sérieux, ni antifasciste.

Cinquième remarque : la mention de « déportation » de population interroge. D’une part, ce mot, chargé de sens et assimilé à la Shoah, ne reflète pas la réalité du terrain et apparait comme une fake news des plus grossières. D’autre part, il convient de rappeler l’exode de 2014-2015 qui a vu le départ (temporaire ou définitif) de plusieurs centaines de milliers  d’Ukrainiens à la suite de la prise violente du pouvoir par les nationalistes ukrainiens et la volonté de briser la résistance dans le Donbass. Autant d’éléments « oubliés » ou visiblement inconnus par un certain nombre de dirigeants.

Résumons : la CGT appelle donc à participer au soutien d’un gouvernement d’extrême-droite, qui interdit les libertés syndicales et les partis progressistes, et mène une guerre terroriste contre sa propre population.

Cette position pose donc un énorme problème de cohérences et de respects des principes internationalistes. Pire, elle nous met tous et toutes en danger en justifiant, d’une certaine manière, l’union sacrée pour la guerre contre la Russie.

En ce qui concerne UnitéCGT, nous faisons une distinction très nette entre les dirigeants d’Etat et les peuples. Les peuples de Russie et d’Ukraine, comme le peuple français, ne sont pas coupables des décisions des oligarques ukrainiens, russes, français ou américains. Notre seule boussole, c’est la recherche de la paix et le soutien absolu aux peuples, syndicalistes et militants anti-guerre de ces deux pays.

S’il va de soi que notre collectif appelle bien évidemment au départ des troupes russes, la paix ne peut passer par le soutien financier, militaire, humain accordé à un gouvernement ukrainien, tout aussi coupables de crimes de guerre que l’armée russe.